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revue de presse
2 participants
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revue de presse
Si nos chers préposés à la publication des articles pouvez publier un article de l'équipe en ligne de ce jour sur les "gourous dans le sport" je leur en serais très reconnaissant.
Merci d'avance
Merci d'avance
Roberto Miopalmo- J'aime l'Union à la folie
- Nombre de messages : 4041
Localisation : sur la table de massage
Date d'inscription : 25/10/2017
Re: revue de presse
https://www.lequipe.fr/explore/wf12
Gare aux gourous
Ils gravitent dans l'entourage de certains des plus grands athlètes comme des sportifs amateurs et ont développé leur emprise à la faveur de la crise sanitaire. Mi-conseillers, mi-thérapeutes, qui sont ces nouveaux gourous ?
écrit par Thibaut Schepman
Le nombre de signalements de dérives sectaires a quasiment doublé sur les six dernières années et cette hausse est en bonne partie liée à des agissements dans le milieu de la santé, de l’alimentation et du bien-être.
Le sport, à la croisée de ces mondes, est au cœur de la tempête, parce qu'il peut conduire à des habitudes nocives et des situations d’emprises mentales.
C’est l’un des meilleurs marathoniens amateurs français qui a été happé par des théories extrêmes sur l’alimentation et a fini par tomber en dénutrition.
C’est Novak Djokovic qui, avant de remporter à l'US Open son 24e titre du Grand Chelem, a mis en danger sa carrière mais aussi sa santé et celle des autres au nom de croyances ésotériques.
C’est aussi un thérapeute autoproclamé qui manipule en France de nombreux joueurs de foot pro avec des outils occultes.
Enquête sur ces personnages à l'influence grandissante.
01 L’ombre de Thierry Casasnovas
Un gourou en toge blanche, des signes ésotériques ou des séances de prières mystiques collectives. Dans l’imaginaire collectif, voici à quoi ressemble une secte.
Mais les nouveaux mouvements sectaires prennent des formes multiples et s’éloignent des clichés. Aux yeux des autorités, un naturopathe est devenu ces derniers mois l’incarnation de ce genre de mutation.
Son nom : Thierry Casasnovas.
Thierry Casasnovas sur sa chaine Youtube.
En mars 2023, celui qui est désormais qualifié de « gourou du cru » a été mis en examen pour :
« abus de confiance »
« abus de faiblesse »
« faux et usage de faux »
« exercice illégal de la médecine »
« exercice illégal de la pharmacie »
« pratiques commerciales trompeuses »
« abus de biens sociaux »
« blanchiment »
Pour l'ancien chef de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) Christian Gravel, il est même « l’archétype de la nouvelle génération d’entrepreneurs sectaires, de prédateurs sectaires ». L’organisme dit avoir reçu depuis 2012 plusieurs centaines de signalements le concernant. Un record.
Thierry Casasnovas n’est plus autorisé à s’exprimer en public sur la santé ou le bien-être, aussi ses 600 000 abonnés se contenteront des centaines de vidéos déjà publiées sur Youtube.
Au milieu des années 2010, alors qu’il était encore peu connu du grand public, Thierry Casasnovas est parvenu à séduire un profil de personnes bien particulier : celui des sportifs et notamment des spécialistes de l’endurance.
À l’époque, il se présente comme quelqu’un ayant « passé une bonne partie de sa vie à courir de l’ultra-longue distance » et réussi des performances sportives exceptionnelles.
Il laisse entendre qu’il a couru le semi-marathon en moins de 1 h 15 - moins de 1% des coureurs référencés en France à l'époque en étaient capables - voire 1 h 09, soit l’équivalent du record de France féminin de l’époque, ou un niveau permettant de monter sur le podium masculin de pas mal de courses nationales dans les années 2000.
Il n’existe aucune trace de ces chronos et ceux-ci paraissent sujet à caution quand on les croise avec d’autres éléments de sa biographie : il a lui-même témoigné d'avoir eu une très mauvaise hygiène de vie à l'époque.
Contacté par « L'Equipe », ce dernier maintient avoir couru sous les 1 h 15 : « C'est un bon niveau pour des coureurs qui s'entraînent très sérieusement, ce qui était mon cas », précise-t-il dans un mail dont une copie a été adressée à son avocat, le très critiqué Fabrice Di Vizio.
De même, Casasnovas se défend face aux mises en cause dont il fait l'objet et conteste tout agissement sectaire : « La notion de secte répond à des critères précis qu'ils (la Miviludes) décrivent eux mêmes fort bien sur leur site internet et aucun de ces critères ne s'applique à mon activité. »
Mettre en avant ces chronos lui a en tout cas permis d’approcher certains hauts responsables du sport français. En 2015, par exemple, un responsable du Pôle France de Jiu-Jitsu brésilien l'invitait à présenter un long exposé sur « les paramètres physiologiques de la performance » à de jeunes athlètes présents pour un stage de sélection.
L’un des professeur de Jiu-Jitsu présents, après avoir justement rapporté à la presse locale le fameux chrono de 1 h 09 de Thierry Casasnovas sur semi-marathon, présentait ce dernier comme « spécialiste de la nutrition » et commentait :
« S'il y a bien une conférence qu'il ne vous faut pas manquer dans un lieu convivial, c'est celle-là... »
Ce discours rejoint celui de Casasnovas qui, dans une vidéo intitulée « Le meilleur régime pour courir, du jogging à l'ultra marathon », prétendait par exemple pouvoir « booster par deux » les performances en mangeant essentiellement des fruits et légumes crus sous forme de jus.
Sa légitimité est remise en question : en effet, s'il est naturopathe, il n’a de diplôme reconnu ni en nutrition, ni en médecine du sport.
S’il a pu œuvrer au plus près des athlètes, c’est surtout en ligne que ce prédicateur passionné de nourriture crue et de jeûne a eu le plus d’impact sur la vie de ses suiveurs.
Tombé sous l'influence de Thierry Casasnovas en 2015, le marathonien amateur Maxime Lopes dit avoir repris aujourd'hui une alimention équilibrée. Devenu docteur en psychologie du sport et entraîneur de course à pied, il témoigne volontiers de cette époque révolue.
Maxime Lopes pendant son entraînement au Kénya.
En 2023, il a atteint un niveau exceptionnel pour un marathonien amateur, proche de certains professionnels (2 h 17 en avril à Rotterdam). Quelques jours après notre entretien, Maxime Lopes s’envolait pour le Kenya pour deux semaines d'entraînement. Son partenaire lors de nombreuses séances : Mathieu Blanchard, 2e de l’UTMB 2022 et alors en pleine préparation pour le marathon de Paris qu’il bouclera en 2 h 22.
Les résultats de Maxime Lopes sont d’autant plus exceptionnels qu’il a démarré la course tardivement. C’était en 2014, alors qu’il était étudiant au Québec. Cette année-là, à peine quelques mois d'entraînement lui suffisent pour prendre conscience de ses capacités.
Il se passionne pour ce sport, progresse rapidement et se convainc très vite d’une chose : il doit changer son alimentation pour perdre du poids et exploiter tout son potentiel. Il va plutôt mettre en grand danger sa santé mentale et physique.
Début 2015, le coureur découvre sur Youtube des méthodes d’alimentation dites alternatives comme le crudivorisme et le jeûne. Et adhère principalement selon lui aux idées du naturopathe Thierry Casasnovas : « Je me pesais plusieurs fois par jour. Je cherchais l’alimentation parfaite et je réalise aujourd’hui que j’étais prêt à croire beaucoup de choses. Je me suis fait avoir par Thierry Casasnovas, qui est un très bon orateur. J’ai passé des heures devant ses vidéos. »
Le récit de Maxime Lopes permet de comprendre comment certaines croyances peuvent se graver dans notre esprit. Il décrit par exemple :
« Ces vidéos ont créé chez moi des schémas, une idéologie de la pureté, J’ai intégré des concepts comme “c’est mal de manger tel ou tel produit” ou même “manger, ça fait de toi une mauvaise personne”. Ça crée une culpabilité dont il est très difficile de se débarrasseR »
Pour les adeptes et anciens adeptes, témoigner est difficile. « C’est très ''émotionnel'' pour moi, reconnaît Maxime Lopes. Je suis très irrité, ça me rappelle trop de choses. C’est allé loin, j’ai même convaincu mes parents d’acheter une machine, un extracteur de jus, pour boire les jus comme Thierry Casasnovas. »
Quand on l'interroge sur l'influence qu'il a pu avoir sur les personnes qui regardaient ses vidéos et ont eu des comportements à risque, le naturopathe rétorque : « N'avez-vous aucun esprit critique ou faites-vous semblant d'être bête pour faire des associations faciles et médiocres dans l'objectif de m'accuser ? À moins que vous puissiez me dire que je l'ai personnellement coaché (ce qui m'étonnerait fort), ou au minimum me dire quels conseils il a suivis ? Puis d'enquêter en tant qu'expert journaliste s'il a bien compris mon message, ou encore s'il les a réellement appliqués (ce qui est impossible à vérifier), ou s'il n'a pas des troubles du comportement alimentaire ? »
Le youtubeur invite par ailleurs à s'intéresser aux coureurs qui « suivent son travail », citant entre autres le controversé Florian Gomet.
Maxime Lopes sur sa chaîne Youtube.
Maxime Lopes, lui, est aujourd’hui auteur d’une chaîne Youtube - appelée Runwise - de référence sur la course à pied, où il indique ne transmettre que des informations basées sur la science. Une démarche de vérité qu’il considère comme une thérapie. Et qu’il poursuit en expliquant dans le détail les répercussions qu’ont eues ces croyances sur sa vie.
Retour en 2015. Au bout de quelques semaines de jeûnes répétés, le marathonien raconte qu'il dort très mal et souffre de maux de têtes réguliers. De graves symptômes de dénutrition, même s'il refuse d'abord d’admettre ce qui lui apparaît aujourd'hui comme une évidence :
« J’étais totalement dans le déni jusqu’à ce que ma mère vienne pour un séjour au Canada. Dès qu’elle m’a vu, elle m’a trouvé très, très amaigri »
« On est parti explorer le Québec et dès le premier déjeuner avec elle, j’ai craqué : je me suis rué sur la nourriture. Et j’ai réalisé à quel point j’étais en sous-nutrition depuis des mois. »
Malgré cet épisode, l'athlète dit avoir mis du temps à retrouver une alimentation plus saine : « Fin 2015, parce que mes performances sportives étaient mauvaises, explique-t-il. Avec le recul, je me dis que c’est le meilleur truc qui me soit arrivé. Ça a été long d’en sortir, j’ai eu des hauts et des bas jusqu’en 2019. Mais j’ai de la chance : je connais des gens qui ont d’abord surperformé un bon moment en entrant là-dedans et qui ont beaucoup de mal à s’en détacher. »
Ce genre de dérives potentielles dépassent le seul cas de Thierry Casasnovas. Plusieurs personnalités du monde sportif nous ont dit avoir constaté la place grandissante de croyances toxiques en lien avec l’alimentation. Nicolas Sajus, docteur en psychologie qui a accompagné de nombreux sportifs et clubs, en particulier en Ligue 2, détaille par exemple :
« J’ai vu des coachs donner des impératifs alimentaires très stricts avec une dimension presque spirituelle, j’ai trouvé plusieurs jeunes sportifs en danger parce qu’ils renoncent à beaucoup trop d’aliments »
Willy Mangin, qui est président de la Société française de nutrition du sport mais aussi ceinture noire et enseignant en arts martiaux chinois, confirme et appelle à la modestie les professionnels du sport non formés à la nutrition, à commencer par les entraîneurs :
« Une étude scientifique australienne a été menée sur des coaches sportifs assermentés qui ont l’habitude de conseiller leurs athlètes en termes d’alimentation. Elle a montré qu’ils avaient plutôt une grande confiance dans leur niveau de connaissance alors qu'en moyenne, celui-ci est assez faible. »
Ancienne présidente de l’association « Ethique et sport », la médecin du sport et nutritionniste Véronique Lebar raconte avoir reçu en consultation de nombreux athlètes ayant adopté des comportements extrêmes.
Et selon elle, la plupart des influenceurs, coaches et naturopathes ayant conduit ses patients à une nutrition dysfonctionnelle ont une vision manichéenne des aliments. Ils laissent entendre que certains aliments sont toujours mauvais pour tout le monde et rendraient même mauvais les personnes qui les consomment. Avec deux marottes : le lait et le gluten.
02 Djokovic, le gourou et le gluten
L’échange de regard est intense, la complicité évidente. A gauche de la photo prise début janvier 2022, celui qui est en train de se bâtir le plus beau palmarès de l'histoire du tennis : Novak Djokovic. A droite, un ancien tennisman professionnel surnommé Pepe Imaz et dont l’habituel vêtement blanc est recouvert d’une doudoune.
Imaz joue le rôle d'« accompagnant spirituel » pour plusieurs personnalités espagnoles et joueurs de tennis, et dirige une école de tennis destinée aux enfants appelée Amor & Paz et installée à Marbella, au sein de l'Hôtel Puente Romano.
Novak Djokovic et Pepe Imaz en janvier 2022.
C’est là, sur le court numéro 5, que Djokovic et Pepe Imaz ont été photographiés. A elle-seule, l'image incarne les turpitudes du Serbe. Elle fut d’abord l’un des éléments à charge contre le joueur de 36 ans dans le conflit qui l’a opposé, début 2022, aux autorités australiennes et a mené jusqu’à son arrestation, sa détention et enfin son départ du pays.
Elle prouve en effet que le champion a bien séjourné en Espagne avant de se rendre à Melbourne, contrairement à ce qu’affirmait son questionnaire d'entrée sur le territoire australien. On peut y voir un symbole : Pepe Imaz, présenté encore aujourd'hui comme le conseiller mental du joueur, est au centre de ce cliché polémique comme il est indissociable des choix les plus controversés de Djokovic depuis qu’il a adopté des croyances très personnelles en matière de santé et d’alimentation.
Dans son livre sorti en 2014 « Service gagnant - Une alimentation sans gluten pour une parfaite forme physique et mentale », Novak Djokovic donne une date qui constitue un tournant dans sa perception de son propre corps et de la santé humaine en générale : le 27 janvier 2010, douze ans avant la photo avec Imaz donc.
Ce jour-là, il affronte Jo-Wilfried Tsonga en quart de finale de l’Open d’Australie. Il tient longtemps tête au Français, mais se met à souffrir de difficultés respiratoires. Il s’effondre physiquement et perd le match. Quelque chose dans son propre corps semble l’avoir trahi.
Peu après cette défaite, explique-t-il, il est contacté par un nutritionniste serbe appelé Igor Cetojevic et qui lui assure avoir vu par hasard la rencontre à la télé et identifié son problème. L’homme se dit en mesure de faire un diagnostic à distance :
« Il a deviné que la réponse résidait dans mon alimentation. Il a supposé plus précisément que mes problèmes respiratoires étaient la conséquence d’un déséquilibre de mon système digestif qui provoquait une accumulation de toxines dans mes intestins »
Celui qui est alors n°3 mondial décide de rencontrer Igor Cetojevic au mois de juillet suivant. Ce dernier lui propose de tester l’impact que peut avoir une tranche de pain sur son organisme. Pas besoin de machine pour ce faire : le nutritionniste se contente d’appuyer avec la main sur le bras du tennisman pendant que ce dernier contracte le biceps.
Le test est réalisé avec et sans tranche de pain, et démontre aux yeux du praticien alternatif que le bras du champion est plus puissant dans le second cas. Ce qui, selon lui, serait la preuve que son corps « rejette le blé du pain ». Le test est assez connu dans le milieu des thérapies dites alternatives et appartient à un courant de pensée appelé kinésiologie.
Igor Cetojevic et Novak Djokovic.
En France, il est particulièrement suivi par les autorités depuis 2005. A l’époque, à Quimper, des parents avaient adopté au nom de la kinésiologie des pratiques alimentaires extrêmes pour leur nourrisson jusqu’à ce que ce dernier décède de malnutrition.
La Miviludes a, depuis, alerté à plusieurs reprises sur la kinésiologie, qui repose sur des intuitions à l’utilité non avérée et peut conduire à des pratiques à risques et des situations d’emprise mentale.
En 2017, l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a évalué la kinésiologie et notamment le fameux test musculaire dont a bénéficié Djokovic. Elle concluait : « Les études réalisées sur la validité et la fiabilité du test musculaire manuel ne sont pas convaincantes et ne permettent pas de conclure à une quelconque validité. »
Mais ce courant séduit particulièrement les sportifs : Lionel Messi consulte régulièrement son kinésiologue favori, tandis qu’une école de kinésiologie du sport ouverte en 2022 revendique de travailler avec de nombreux clubs professionnels français dont l’AS Monaco, l’Olympique Lyonnais ou l’Asvel.
Le docteur Giuliano Poser, kinésiologue de Lionel Messi.
Après ce test kinésiologique, Novak Djokovic va non seulement renoncer au gluten mais aussi au lait et aux excès de sucre. Il se met à boire de l'eau chaude pour, croit-il, « ne pas dévier le sang de (ses) muscles » et prend systématiquement deux cuillères d'un miel bien spécifique au réveil.
Il va également attacher plus d’importance à son sommeil et à la gestion de son stress. Des décisions dont il se félicite : il dit se sentir mieux et estime que cela l’a aidé à remporter des victoires importantes (en 2011, il gagnera en Australie, à Wimbledon et à l'US Open).
Ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui ont voulu s’inspirer de lui : en 2013, Andy Murray disait ainsi au Telegraph : « J'ai essayé pendant deux ans (de me passer du gluten) mais ça n'a pas marché. Je me sentais très mal : j'ai perdu du poids et toute mon énergie. »
Les déconvenues peuvent être bien plus graves. Car aux risques sanitaires s’ajoutent un potentiel déni de réalité et un assujettissement psychologique, selon Véronique Lebar : « Ce matin-même, j’avais un patient dans cette situation dans mon cabinet. Un jeune homme qui avait des analyses de sang parfaites mais voulait aller toujours plus loin, faire d’autres analyses. Il me parlait de théories farfelues sur la nutrition, parce qu’il avait rencontré un naturopathe très dogmatique qui lui dictait sa conduite et lui diagnostiquait des problèmes tout aussi farfelus. Pour moi, il était sous emprise. »
Le problème décrit par Véronique Lebar est très répandu, notamment, sur les réseaux sociaux, où de célèbres coachs sportifs et influenceurs organisent des « transformation challenges », incitant sans aucune prudence leurs clients à changer leur alimentation ou leur mode de vie. Avec des méthodes de vente très convaincantes, qui peuvent faire perdre toute lucidité ou tout libre arbitre.
Véronique Lebar décrit ainsi : « J’ai été frappée par le niveau de croyances d’un de ces athlètes. Son taux de fer était si élevé que son foie aurait pu cesser de fonctionner. C’est potentiellement létal. Mais j’étais face à un mur. J’ai tenté de lui montrer ses analyses et des articles scientifiques, il ne m’écoutait pas. Le seul avis qui comptait pour lui, c’était celui de la personne qui lui avait recommandé les compléments alimentaires. » Qui ne sont pourtant pas à prendre à la légère.
Ancienne joueuse de tennis de haut niveau devenue diététicienne du sport et chercheuse en nutrition, Alice Bellicha alerte également sur les conseils dits alternatifs en matière de nutrition : « Les compléments alimentaires ne sont utiles que si l’on n'a pas accès à une alimentation variée ou qu'elle ne couvre pas nos besoins. Il y a une responsabilité très grande de la part des gens qui conseillent ces compléments sans aucune prudence. »
Les précautions à prendre sont d'autant plus essentielles qu'il n'est pas rare de trouver des compléments alimentaires contaminés involontairement dans leur production par des substances nocives et/ou classées comme dopantes. Le cas de Paul Pogba, dont le contrôle positif à la testostérone pourrait être dû à l'absorption d'un complément alimentaire contenant cette hormone, l'a rappelé très récemment.
Selon toutes les personnes que nous avons interrogées, la crise sanitaire a encouragé de plus en plus d’encadrants du monde sportif à empiéter sur les choix de vie des athlètes. De façon parfois totalement inappropriée.
Enseignant en art martiaux, Willy Mangin explique par exemple avoir vu certains coachs et athlètes de son milieu attribuer des vertus sanitaires non avérées à leurs pratiques sportives : « Croyant sûrement bien faire, des professeurs ont essayé de développer des Chi-gong anti-Covid au début de la pandémie. Ils ont laissé entendre que l’on pouvait booster notre système immunitaire et donc se préserver du virus en respectant les bons enchaînements de mouvements. Déjà, ce n’est pas du tout avéré, et en plus ça a pu contribuer à la défiance globale contre des mesures de protection dont l’utilité est prouvée. »
Là encore, la trajectoire de Novak Djokovic est éclairante. Car ses changements alimentaires ont coïncidé avec l’adoption des croyances spirituelles propagées par Imaz. Dans ses livres et conférences, Pepe Imaz en exprime certaines qui semblent totalement déconnectées de la réalité. Il dit ainsi avoir rencontré une divinité libanaise qui lui aurait délivré pendant 23 jours consécutifs de nombreux messages.
De cette révélation, il tire des théories ésotériques, des propos complotistes (les traînées des avions intoxiqueraient les populations, le monde serait dirigé par treize familles néfastes appelées Illuminatis) ou des reproches virulents à la médecine conventionnelle, et notamment contre la vaccination. Djokovic va adopter une bonne partie de ces points de vue, en particulier le dernier.
Selon la Miviludes, « le risque de dérive sectaire est à craindre » et l'organisme alerte sur les textes d'Imaz :
« Il y a un risque non négligeable de rupture avec la société et d’enfermement dans ses convictions qui peut amener l’individu à participer à des groupes toujours plus extrêmes dans leurs convictions »
Grande connaisseuse des spiritualités contemporaines et de ses dangers, Elisabeth Feytit confirme retrouver dans les mots et croyances d’Imaz bon nombre de références New-Age.
Autrice du podcast de référence sur ces sujets, Méta de Choc, elle liste trois critères qui permettent d’identifier une situation d'emprise mentale : « L’exigence d’une alimentation draconienne, ce qui est à relativiser ici puisque les sportifs professionnels sont forcément soumis à des régimes stricts ; un vocabulaire propre et difficile à comprendre de l’extérieur ; le fait de désigner l’extérieur comme le mal. »
Pour l’Espagnol Luis Santamaría del Río, spécialiste des sectes et co-fondateur d'un Réseau ibéro-américain pour l'étude des sectes (RIES), Pepe Imaz est bien un « gourou New-Age ».
Novak Djokovic et Boris Becker, son entraîneur de 2013 à 2016.
Novak Djokovic a collaboré activement avec Pepe Imaz entre 2016 et 2018, au point que ce dernier affiche de façon répétée son adhésion au mantra « Amor y Paz ». Au point, aussi, que la présence d’Imaz devienne un problème aux yeux de son entourage professionnel.
Dès novembre 2016, les observateurs s’interrogent : pourquoi est-ce Imaz qui accompagne le Serbe lors du Masters 1000 de Bercy, et non pas ses coaches Marian Vajda et Boris Becker ?
Ces deux derniers semblent avoir désapprouvé la proximité de « Djoko » avec son guide spirituel : c’est l’une des raisons qui expliquerait la démission de Becker en décembre 2016, tandis que Marian Vajda (photo) a publiquement exigé qu’Imaz s’éloigne du joueur (en 2018, à un quotidien slovaque). Ce qui fut fait, même si les deux hommes ont continué à se fréquenter et à s'apporter un soutien public. Jusqu’à la crise sanitaire, au cours de laquelle sa proximité spirituelle et géographique avec Pepe Imaz a donc eu des conséquences extrêmes.
Certains voient dans l’attitude de Djokovic une fidélité remarquable en ses convictions, qui explique peut-être en partie sa carrière exceptionnelle. D’autres y voient un jusqu'au boutisme regrettable, n’oubliant pas que Djokovic a participé sans masque à plusieurs événements en public après avoir été testé positif au Covid-19, et craignant que le champion inspire à une partie de ses fans une crainte illégitime de la vaccination et de la médecine.
Certains estiment par ailleurs que les croyances du joueur l’ont rendu crédule et à la merci d’extorsions et manipulations. En juillet 2022, Novak Djokovic a inauguré des terrains de tennis au pied de collines présentées par un entrepreneur local controversé comme des pyramides construites jadis par une société oubliée, et qui auraient des effets bénéfiques pour la santé des visiteurs.
Lors du dernier Roland-Garros, il arborait sur le torse un patch présenté comme une technologie révolutionnaire lui permettant de performer. Un patch vendu plusieurs centaines d’euros et dont, selon ses concepteurs, la renommée a explosé grâce au Serbe. Mais tous les spécialistes considèrent qu’il s’agit d’une arnaque et d’un gadget inopérant, même si Djokovic a ajouté à Paris puis New York deux nouveaux tournois du Grand Chelem à son palmarès.
03 Le magnétiseur du foot professionnel
Dans le milieu du foot professionnel français, l’influence importante sur certains joueurs d’un thérapeute alternatif peu connu du grand public pose de nombreuses questions. Son nom rappelera peut-être quelque chose aux supporters de Bastia et de Rennes dans les années 1990 : Pierre Maroselli.
Après son honorable carrière pro, celui-ci s’est reconverti dans la magnothérapie, l'une des nombreuses disciplines alternatives non reconnues par la médecine et à l’efficacité non démontrée mais qui ambitionne de soigner grâce aux champs magnétiques.
Plusieurs de ses anciens clients le disent très sympathique et certains estiment que son magnétisme peut être utile à ceux qui y croient. Une personne extérieure au monde du sport et souffrant d’anorexie assure que Pierre Maroselli a eu, pendant un temps, un impact positif sur elle lors de nombreux échanges téléphoniques.
En 2016, une enquête de « L'Équipe » interrogeait l’influence voire l’emprise du magnétiseur sur ses clients. Notamment le plus fidèle d’entre eux, le footballeur français Hatem Ben Arfa, qui aurait même envisagé de refuser de participer à l'Euro 2016 si Didier Deschamps n'acceptait pas la présence de Maroselli à ses côtés pendant la compétition.
Contacté à ce sujet, Hatem Ben Arfa ne nous a pas répondu. Pierre Maroselli, lui, a accepté de nous parler pendant plus de deux heures au téléphone, à condition que nous ne citions pas ses propos et afin de « sentir » s’il devait ou non nous donner une interview en bonne et due forme. Après plusieurs semaines de suspense, il a finalement renoncé.
Lors de notre entretien, il a certifié travailler, encore aujourd’hui, avec plusieurs joueurs évoluant en Ligue 1 et prendre parfois l’avion pour effectuer avec eux des séances de thérapie. Il a aussi assuré être en mesure d’effectuer des diagnostics et des soins à distance.
Citant Kylian Mbappé ou Neymar, il a précisé pouvoir ressentir l’état de santé actuel de joueurs sans même les avoir vus.
Il s’est également livré spontanément à un diagnostic à distance sur l’auteur de ses lignes : à plusieurs reprises pendant l’entretien et malgré notre gêne perceptible et nos contestations, il a tenu à diagnostiquer une « rupture affective avec la mère » mais aussi des soucis au niveau du pancréas.
Cette initiative était probablement bienveillante et a été suivie d’une proposition de traitement par ses soins. Selon lui, beaucoup de sportifs auraient aussi intérêt à le suivre, puisqu’il peut les aider à performer.
Il semble difficile de ne pas voir de potentiels dangers dans ces affirmations. Elles nous rappellent de très près les alertes que nous avait données Elisabeth Feytit, ancienne championne de France scolaire de judo et pratiquante de roller acrobatique à haut niveau. Elle qui connaît très bien les dérives psychologiques constatées dans le milieu du coaching expliquait :
« Dans le coaching sportif comme dans le coaching en général, le risque vient des personnes qui vous disent : “je sais mieux que vous ce dont vous avez besoin” »
Largement inspiré du développement personnel et du coaching, c’est toute la philosophie de Pierre Maroselli qui peut s’avérer alarmante.
Lors de notre entretien, ce dernier a revendiqué baser ses soins sur une théorie dite de la « loi de l’attraction ». Celle-ci consiste à dire que nos pensées ont le pouvoir d’influencer le réel. Pour réussir sa vie, il faut d’abord la penser de façon positive.
Dans un certain contexte, elle peut imprégner certains athlètes d'une culture de la gagne. Mais elle est souvent dangereuse puisqu’elle laisse entendre que les personnes en souffrance sont responsables de leurs malheurs… faute d’avoir suffisamment pensé positivement.
Il est parfois difficile de faire la part des choses entre de simples choix à contre-courant, tout à fait légitimes, et des conseils néfastes pouvant mener à des dérives. La frontière n’est pas si simple à identifier, d’autant plus que les croyances et thérapies alternatives ne se cantonnent pas aux réseaux sociaux et à l’entourage éloignés des sportifs mais peuvent être diffusées au cœur même des clubs et instances sportives françaises.
Martine Gardénal.
La très controversée docteur Martine Gardénal, par exemple, a exercé dans les années 1980 au sein des équipes de France de tir et d'équitation mais aussi pendant plusieurs années et jusqu’en 2012 au sein du pôle médical de l’Insep.
Elle s’est spécialisée dans des pratiques à l’utilité non démontrée, dont l’homéopathie, a été suspendue par l’Ordre des médecins mais aussi condamnée pour « charlatanisme » à la suite de poursuites engagées par la Sécurité sociale en 2007. Contacté à son sujet, l’Insep indique simplement que l’homéopathie n’est « pas ou très peu utilisée aujourd’hui » en son sein.
Depuis son départ de l’INSEP, Martine Gardénal a publié plusieurs ouvrages, notamment sur l’homéopathie dans le sport, diffusé des affirmations fausses sur la crise sanitaire ou invité les sportifs à renoncer à la vaccination. Ses anciennes fonctions au sein de l’élite du sport français sont encore systématiquement citées comme des attestations de sa crédibilité.
Il n'est pas question ici de tracer la limite de la superstition et de la pensée magique dans le sport. Les exemples sont légion et en font souvent la beauté, des neufs tics systématiques de Nadal avant chacun de ses services aux discours performatifs prononcés par des coachs enflammés, en passant par ces joueurs de Montpellier qui, comme on agiterait un gri-gri, se rendaient en 2020 et 2021 au stade de la Mosson dans un vieux Scenic dont le pot d’échappement touchait terre mais qui, à leurs yeux, avait la capacité de les faire gagner.
Richard Monvoisin est enseignant à l'Université Grenoble-Alpes et spécialiste de l'analyse des théories controversées. Il a aussi pratiqué la course à pied à haut niveau puis participé à pas mal de courses en montagne. Il confirme que les rituels et la pensée magique font partie intégrante de l’histoire du sport et cite deux exemples tirés du livre du médecin du sport Jean-Pierre de Mondénard (Dopage aux Jeux olympiques, la triche récompensée).
Spyrídon Loúis premier champion olympique du marathon lors des JO de 1896 et Joseph Guillemot champion olympique du 5000 mètres en 1920 à Anvers.
Spyrídon Loúis, le vainqueur du premier marathon des JO modernes à Athènes en 1896, priait pendant deux nuits puis jeûnait un jour entier avant chaque épreuve. L’athlète Joseph Guillemot a, lui, performé aux JO d’Anvers en 1920 après avoir bu ce qu’un proche lui avait présenté comme une boisson magique. Ce n’était que de l’eau sucrée…
Selon ce défenseur de la pensée critique, ces rituels peuvent tout à fait avoir leur utilité dans le sport en tant que « gain de confiance » :
« En se raccrochant à quelque chose, que ce soit le magnétisme, les graines de chia ou l’arrêt du gluten, l’athlète a une illusion de contrôle. C’est très rassurant alors que le sport est tout de même un domaine où on manque cruellement de contrôle »
Alors comment définir et détecter ce qui peut relever de l'emprise ? Willy Mangin appelle les personnes qui entourent les sportifs à se former à l’éthique et à la déontologie, pour questionner les limites et les devoirs liés à leurs fonctions. Richard Monvoisin propose, lui, une solution qui a fait ses preuves dans la recherche médicale : le placebo ouvert.
Car le fait de savoir que l’on a recours un placebo ne supprimerait pas son effet positif. Libre à chaque sportif d’adhérer de façon « ouverte », et donc consciente, à ses propres recettes secrètes voire magiques, sans dérive possible. Et sans gluten, si ça leur chante.
Le sport et les sectes, une longue histoire
C’est par des tueries de masse que les mouvements sectaires ont commencé à attirer l’attention dans les années 1980 et 1990. En 1978, plus de 900 personnes se suicident au Guyana, au sein d’une secte dirigée par le gourou américain Jim Jones. Plusieurs dizaines d’adeptes de l’Ordre du Temple solaire vont ensuite mourir au milieu des années 1990 à la suite d’assassinats et/ou suicides collectifs.
Le 23 décembre 1995, la police française retrouve les corps immolés et disposés en étoile de seize personnes dans la clairière du Puits-de-l’Enfer, dans le Vercors. Parmi elles, trois jeunes enfants mais aussi la double championne de France de ski de descente Edith Vuarnet et son fils, membres de la secte.
Ce dernier drame a secoué l’opinion et conduit les autorités françaises à recenser les mouvements inquiétants et à lutter contre les dérives sectaires en créant une mission dédiée (la Miviludes, Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).
On découvre à l’époque qu’un mouvement comme la Scientologie, considérée comme une secte en France, revendique plusieurs dizaines de milliers de membres dans notre pays. Dont certains sportifs renommés comme le pilote français Philippe de Henning, directement sponsorisé par le mouvement, mais aussi la championne de 100 m haies Anne Piquereau - qui connut de nombreux déboires à la suite d’accusations de prosélytisme - ou encore l’ancien vainqueur de la Coupe Davis Arnaud Boetsch.
« C'était une époque où je voulais être mieux dans mon tennis et dans ma vie. Qui ne souhaite pas s'améliorer ? Le tennis est un sport stressant, je cherchais des solutions comme d'autres vont chez le psy ou font du yoga »
Ces grands mouvements conservent aujourd’hui leur poids et certains liens avec le monde du sport.
L'Église de scientologie, condamnée en 2013 pour escroquerie en bande organisée, œuvre ainsi à la construction d’un immense centre de formation juste en face du Stade de France, dont l’ouverture est prévue avant le début des Jeux Olympiques 2024.
Mais les dérives et l’emprise sectaire se sont beaucoup diversifiées. Son impact sur nos sociétés et sur le monde sportif également. Longuement décrié dans le dernier rapport de la Miviludes, le mouvement ésotérique de l’anthroposophie a par exemple provoqué la controverse dans le monde du handball en 2021 quand l’entreprise pharmaceutique Weleda, liée à plus égards à ce mouvement, est devenue partenaire et « fournisseur officiel » de la FFH.
Ce qui, aux yeux de plusieurs structures luttant contre les dérives sectaires, notamment la Ligue des droits de l’homme, donnent une vitrine regrettable à ce mouvement.
De même questions se posent sur une autre société, Herbalife, qui a noué des liens avec de très nombreuses personnalités et clubs sportifs, de Cristiano Ronaldo à la Fédération française de volley-ball en passant par l’Ajax Amsterdam.
Problème : Herbalife, régulièrement accusée d’escroquerie, a été condamnée aux Etats-Unis pour vente pyramidale.
Ses produits ont été mis en cause dans de nombreux cas de problèmes hépatiques. Contactée, la Miviludes explique avoir reçu plus de 20 saisines au sujet d’Herbalife à la fois en 2022 et en 2023, notamment de personnes s’inquiétant pour leurs proches ayant rejoint cette structure.
Gare aux gourous
Ils gravitent dans l'entourage de certains des plus grands athlètes comme des sportifs amateurs et ont développé leur emprise à la faveur de la crise sanitaire. Mi-conseillers, mi-thérapeutes, qui sont ces nouveaux gourous ?
écrit par Thibaut Schepman
Le nombre de signalements de dérives sectaires a quasiment doublé sur les six dernières années et cette hausse est en bonne partie liée à des agissements dans le milieu de la santé, de l’alimentation et du bien-être.
Le sport, à la croisée de ces mondes, est au cœur de la tempête, parce qu'il peut conduire à des habitudes nocives et des situations d’emprises mentales.
C’est l’un des meilleurs marathoniens amateurs français qui a été happé par des théories extrêmes sur l’alimentation et a fini par tomber en dénutrition.
C’est Novak Djokovic qui, avant de remporter à l'US Open son 24e titre du Grand Chelem, a mis en danger sa carrière mais aussi sa santé et celle des autres au nom de croyances ésotériques.
C’est aussi un thérapeute autoproclamé qui manipule en France de nombreux joueurs de foot pro avec des outils occultes.
Enquête sur ces personnages à l'influence grandissante.
01 L’ombre de Thierry Casasnovas
Un gourou en toge blanche, des signes ésotériques ou des séances de prières mystiques collectives. Dans l’imaginaire collectif, voici à quoi ressemble une secte.
Mais les nouveaux mouvements sectaires prennent des formes multiples et s’éloignent des clichés. Aux yeux des autorités, un naturopathe est devenu ces derniers mois l’incarnation de ce genre de mutation.
Son nom : Thierry Casasnovas.
Thierry Casasnovas sur sa chaine Youtube.
En mars 2023, celui qui est désormais qualifié de « gourou du cru » a été mis en examen pour :
« abus de confiance »
« abus de faiblesse »
« faux et usage de faux »
« exercice illégal de la médecine »
« exercice illégal de la pharmacie »
« pratiques commerciales trompeuses »
« abus de biens sociaux »
« blanchiment »
Pour l'ancien chef de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) Christian Gravel, il est même « l’archétype de la nouvelle génération d’entrepreneurs sectaires, de prédateurs sectaires ». L’organisme dit avoir reçu depuis 2012 plusieurs centaines de signalements le concernant. Un record.
Thierry Casasnovas n’est plus autorisé à s’exprimer en public sur la santé ou le bien-être, aussi ses 600 000 abonnés se contenteront des centaines de vidéos déjà publiées sur Youtube.
Au milieu des années 2010, alors qu’il était encore peu connu du grand public, Thierry Casasnovas est parvenu à séduire un profil de personnes bien particulier : celui des sportifs et notamment des spécialistes de l’endurance.
À l’époque, il se présente comme quelqu’un ayant « passé une bonne partie de sa vie à courir de l’ultra-longue distance » et réussi des performances sportives exceptionnelles.
Il laisse entendre qu’il a couru le semi-marathon en moins de 1 h 15 - moins de 1% des coureurs référencés en France à l'époque en étaient capables - voire 1 h 09, soit l’équivalent du record de France féminin de l’époque, ou un niveau permettant de monter sur le podium masculin de pas mal de courses nationales dans les années 2000.
Il n’existe aucune trace de ces chronos et ceux-ci paraissent sujet à caution quand on les croise avec d’autres éléments de sa biographie : il a lui-même témoigné d'avoir eu une très mauvaise hygiène de vie à l'époque.
Contacté par « L'Equipe », ce dernier maintient avoir couru sous les 1 h 15 : « C'est un bon niveau pour des coureurs qui s'entraînent très sérieusement, ce qui était mon cas », précise-t-il dans un mail dont une copie a été adressée à son avocat, le très critiqué Fabrice Di Vizio.
De même, Casasnovas se défend face aux mises en cause dont il fait l'objet et conteste tout agissement sectaire : « La notion de secte répond à des critères précis qu'ils (la Miviludes) décrivent eux mêmes fort bien sur leur site internet et aucun de ces critères ne s'applique à mon activité. »
Mettre en avant ces chronos lui a en tout cas permis d’approcher certains hauts responsables du sport français. En 2015, par exemple, un responsable du Pôle France de Jiu-Jitsu brésilien l'invitait à présenter un long exposé sur « les paramètres physiologiques de la performance » à de jeunes athlètes présents pour un stage de sélection.
L’un des professeur de Jiu-Jitsu présents, après avoir justement rapporté à la presse locale le fameux chrono de 1 h 09 de Thierry Casasnovas sur semi-marathon, présentait ce dernier comme « spécialiste de la nutrition » et commentait :
« S'il y a bien une conférence qu'il ne vous faut pas manquer dans un lieu convivial, c'est celle-là... »
Ce discours rejoint celui de Casasnovas qui, dans une vidéo intitulée « Le meilleur régime pour courir, du jogging à l'ultra marathon », prétendait par exemple pouvoir « booster par deux » les performances en mangeant essentiellement des fruits et légumes crus sous forme de jus.
Sa légitimité est remise en question : en effet, s'il est naturopathe, il n’a de diplôme reconnu ni en nutrition, ni en médecine du sport.
S’il a pu œuvrer au plus près des athlètes, c’est surtout en ligne que ce prédicateur passionné de nourriture crue et de jeûne a eu le plus d’impact sur la vie de ses suiveurs.
Tombé sous l'influence de Thierry Casasnovas en 2015, le marathonien amateur Maxime Lopes dit avoir repris aujourd'hui une alimention équilibrée. Devenu docteur en psychologie du sport et entraîneur de course à pied, il témoigne volontiers de cette époque révolue.
Maxime Lopes pendant son entraînement au Kénya.
En 2023, il a atteint un niveau exceptionnel pour un marathonien amateur, proche de certains professionnels (2 h 17 en avril à Rotterdam). Quelques jours après notre entretien, Maxime Lopes s’envolait pour le Kenya pour deux semaines d'entraînement. Son partenaire lors de nombreuses séances : Mathieu Blanchard, 2e de l’UTMB 2022 et alors en pleine préparation pour le marathon de Paris qu’il bouclera en 2 h 22.
Les résultats de Maxime Lopes sont d’autant plus exceptionnels qu’il a démarré la course tardivement. C’était en 2014, alors qu’il était étudiant au Québec. Cette année-là, à peine quelques mois d'entraînement lui suffisent pour prendre conscience de ses capacités.
Il se passionne pour ce sport, progresse rapidement et se convainc très vite d’une chose : il doit changer son alimentation pour perdre du poids et exploiter tout son potentiel. Il va plutôt mettre en grand danger sa santé mentale et physique.
Début 2015, le coureur découvre sur Youtube des méthodes d’alimentation dites alternatives comme le crudivorisme et le jeûne. Et adhère principalement selon lui aux idées du naturopathe Thierry Casasnovas : « Je me pesais plusieurs fois par jour. Je cherchais l’alimentation parfaite et je réalise aujourd’hui que j’étais prêt à croire beaucoup de choses. Je me suis fait avoir par Thierry Casasnovas, qui est un très bon orateur. J’ai passé des heures devant ses vidéos. »
Le récit de Maxime Lopes permet de comprendre comment certaines croyances peuvent se graver dans notre esprit. Il décrit par exemple :
« Ces vidéos ont créé chez moi des schémas, une idéologie de la pureté, J’ai intégré des concepts comme “c’est mal de manger tel ou tel produit” ou même “manger, ça fait de toi une mauvaise personne”. Ça crée une culpabilité dont il est très difficile de se débarrasseR »
Pour les adeptes et anciens adeptes, témoigner est difficile. « C’est très ''émotionnel'' pour moi, reconnaît Maxime Lopes. Je suis très irrité, ça me rappelle trop de choses. C’est allé loin, j’ai même convaincu mes parents d’acheter une machine, un extracteur de jus, pour boire les jus comme Thierry Casasnovas. »
Quand on l'interroge sur l'influence qu'il a pu avoir sur les personnes qui regardaient ses vidéos et ont eu des comportements à risque, le naturopathe rétorque : « N'avez-vous aucun esprit critique ou faites-vous semblant d'être bête pour faire des associations faciles et médiocres dans l'objectif de m'accuser ? À moins que vous puissiez me dire que je l'ai personnellement coaché (ce qui m'étonnerait fort), ou au minimum me dire quels conseils il a suivis ? Puis d'enquêter en tant qu'expert journaliste s'il a bien compris mon message, ou encore s'il les a réellement appliqués (ce qui est impossible à vérifier), ou s'il n'a pas des troubles du comportement alimentaire ? »
Le youtubeur invite par ailleurs à s'intéresser aux coureurs qui « suivent son travail », citant entre autres le controversé Florian Gomet.
Maxime Lopes sur sa chaîne Youtube.
Maxime Lopes, lui, est aujourd’hui auteur d’une chaîne Youtube - appelée Runwise - de référence sur la course à pied, où il indique ne transmettre que des informations basées sur la science. Une démarche de vérité qu’il considère comme une thérapie. Et qu’il poursuit en expliquant dans le détail les répercussions qu’ont eues ces croyances sur sa vie.
Retour en 2015. Au bout de quelques semaines de jeûnes répétés, le marathonien raconte qu'il dort très mal et souffre de maux de têtes réguliers. De graves symptômes de dénutrition, même s'il refuse d'abord d’admettre ce qui lui apparaît aujourd'hui comme une évidence :
« J’étais totalement dans le déni jusqu’à ce que ma mère vienne pour un séjour au Canada. Dès qu’elle m’a vu, elle m’a trouvé très, très amaigri »
« On est parti explorer le Québec et dès le premier déjeuner avec elle, j’ai craqué : je me suis rué sur la nourriture. Et j’ai réalisé à quel point j’étais en sous-nutrition depuis des mois. »
Malgré cet épisode, l'athlète dit avoir mis du temps à retrouver une alimentation plus saine : « Fin 2015, parce que mes performances sportives étaient mauvaises, explique-t-il. Avec le recul, je me dis que c’est le meilleur truc qui me soit arrivé. Ça a été long d’en sortir, j’ai eu des hauts et des bas jusqu’en 2019. Mais j’ai de la chance : je connais des gens qui ont d’abord surperformé un bon moment en entrant là-dedans et qui ont beaucoup de mal à s’en détacher. »
Ce genre de dérives potentielles dépassent le seul cas de Thierry Casasnovas. Plusieurs personnalités du monde sportif nous ont dit avoir constaté la place grandissante de croyances toxiques en lien avec l’alimentation. Nicolas Sajus, docteur en psychologie qui a accompagné de nombreux sportifs et clubs, en particulier en Ligue 2, détaille par exemple :
« J’ai vu des coachs donner des impératifs alimentaires très stricts avec une dimension presque spirituelle, j’ai trouvé plusieurs jeunes sportifs en danger parce qu’ils renoncent à beaucoup trop d’aliments »
Willy Mangin, qui est président de la Société française de nutrition du sport mais aussi ceinture noire et enseignant en arts martiaux chinois, confirme et appelle à la modestie les professionnels du sport non formés à la nutrition, à commencer par les entraîneurs :
« Une étude scientifique australienne a été menée sur des coaches sportifs assermentés qui ont l’habitude de conseiller leurs athlètes en termes d’alimentation. Elle a montré qu’ils avaient plutôt une grande confiance dans leur niveau de connaissance alors qu'en moyenne, celui-ci est assez faible. »
Ancienne présidente de l’association « Ethique et sport », la médecin du sport et nutritionniste Véronique Lebar raconte avoir reçu en consultation de nombreux athlètes ayant adopté des comportements extrêmes.
Et selon elle, la plupart des influenceurs, coaches et naturopathes ayant conduit ses patients à une nutrition dysfonctionnelle ont une vision manichéenne des aliments. Ils laissent entendre que certains aliments sont toujours mauvais pour tout le monde et rendraient même mauvais les personnes qui les consomment. Avec deux marottes : le lait et le gluten.
02 Djokovic, le gourou et le gluten
L’échange de regard est intense, la complicité évidente. A gauche de la photo prise début janvier 2022, celui qui est en train de se bâtir le plus beau palmarès de l'histoire du tennis : Novak Djokovic. A droite, un ancien tennisman professionnel surnommé Pepe Imaz et dont l’habituel vêtement blanc est recouvert d’une doudoune.
Imaz joue le rôle d'« accompagnant spirituel » pour plusieurs personnalités espagnoles et joueurs de tennis, et dirige une école de tennis destinée aux enfants appelée Amor & Paz et installée à Marbella, au sein de l'Hôtel Puente Romano.
Novak Djokovic et Pepe Imaz en janvier 2022.
C’est là, sur le court numéro 5, que Djokovic et Pepe Imaz ont été photographiés. A elle-seule, l'image incarne les turpitudes du Serbe. Elle fut d’abord l’un des éléments à charge contre le joueur de 36 ans dans le conflit qui l’a opposé, début 2022, aux autorités australiennes et a mené jusqu’à son arrestation, sa détention et enfin son départ du pays.
Elle prouve en effet que le champion a bien séjourné en Espagne avant de se rendre à Melbourne, contrairement à ce qu’affirmait son questionnaire d'entrée sur le territoire australien. On peut y voir un symbole : Pepe Imaz, présenté encore aujourd'hui comme le conseiller mental du joueur, est au centre de ce cliché polémique comme il est indissociable des choix les plus controversés de Djokovic depuis qu’il a adopté des croyances très personnelles en matière de santé et d’alimentation.
Dans son livre sorti en 2014 « Service gagnant - Une alimentation sans gluten pour une parfaite forme physique et mentale », Novak Djokovic donne une date qui constitue un tournant dans sa perception de son propre corps et de la santé humaine en générale : le 27 janvier 2010, douze ans avant la photo avec Imaz donc.
Ce jour-là, il affronte Jo-Wilfried Tsonga en quart de finale de l’Open d’Australie. Il tient longtemps tête au Français, mais se met à souffrir de difficultés respiratoires. Il s’effondre physiquement et perd le match. Quelque chose dans son propre corps semble l’avoir trahi.
Peu après cette défaite, explique-t-il, il est contacté par un nutritionniste serbe appelé Igor Cetojevic et qui lui assure avoir vu par hasard la rencontre à la télé et identifié son problème. L’homme se dit en mesure de faire un diagnostic à distance :
« Il a deviné que la réponse résidait dans mon alimentation. Il a supposé plus précisément que mes problèmes respiratoires étaient la conséquence d’un déséquilibre de mon système digestif qui provoquait une accumulation de toxines dans mes intestins »
Celui qui est alors n°3 mondial décide de rencontrer Igor Cetojevic au mois de juillet suivant. Ce dernier lui propose de tester l’impact que peut avoir une tranche de pain sur son organisme. Pas besoin de machine pour ce faire : le nutritionniste se contente d’appuyer avec la main sur le bras du tennisman pendant que ce dernier contracte le biceps.
Le test est réalisé avec et sans tranche de pain, et démontre aux yeux du praticien alternatif que le bras du champion est plus puissant dans le second cas. Ce qui, selon lui, serait la preuve que son corps « rejette le blé du pain ». Le test est assez connu dans le milieu des thérapies dites alternatives et appartient à un courant de pensée appelé kinésiologie.
Igor Cetojevic et Novak Djokovic.
En France, il est particulièrement suivi par les autorités depuis 2005. A l’époque, à Quimper, des parents avaient adopté au nom de la kinésiologie des pratiques alimentaires extrêmes pour leur nourrisson jusqu’à ce que ce dernier décède de malnutrition.
La Miviludes a, depuis, alerté à plusieurs reprises sur la kinésiologie, qui repose sur des intuitions à l’utilité non avérée et peut conduire à des pratiques à risques et des situations d’emprise mentale.
En 2017, l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a évalué la kinésiologie et notamment le fameux test musculaire dont a bénéficié Djokovic. Elle concluait : « Les études réalisées sur la validité et la fiabilité du test musculaire manuel ne sont pas convaincantes et ne permettent pas de conclure à une quelconque validité. »
Mais ce courant séduit particulièrement les sportifs : Lionel Messi consulte régulièrement son kinésiologue favori, tandis qu’une école de kinésiologie du sport ouverte en 2022 revendique de travailler avec de nombreux clubs professionnels français dont l’AS Monaco, l’Olympique Lyonnais ou l’Asvel.
Le docteur Giuliano Poser, kinésiologue de Lionel Messi.
Après ce test kinésiologique, Novak Djokovic va non seulement renoncer au gluten mais aussi au lait et aux excès de sucre. Il se met à boire de l'eau chaude pour, croit-il, « ne pas dévier le sang de (ses) muscles » et prend systématiquement deux cuillères d'un miel bien spécifique au réveil.
Il va également attacher plus d’importance à son sommeil et à la gestion de son stress. Des décisions dont il se félicite : il dit se sentir mieux et estime que cela l’a aidé à remporter des victoires importantes (en 2011, il gagnera en Australie, à Wimbledon et à l'US Open).
Ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui ont voulu s’inspirer de lui : en 2013, Andy Murray disait ainsi au Telegraph : « J'ai essayé pendant deux ans (de me passer du gluten) mais ça n'a pas marché. Je me sentais très mal : j'ai perdu du poids et toute mon énergie. »
Les déconvenues peuvent être bien plus graves. Car aux risques sanitaires s’ajoutent un potentiel déni de réalité et un assujettissement psychologique, selon Véronique Lebar : « Ce matin-même, j’avais un patient dans cette situation dans mon cabinet. Un jeune homme qui avait des analyses de sang parfaites mais voulait aller toujours plus loin, faire d’autres analyses. Il me parlait de théories farfelues sur la nutrition, parce qu’il avait rencontré un naturopathe très dogmatique qui lui dictait sa conduite et lui diagnostiquait des problèmes tout aussi farfelus. Pour moi, il était sous emprise. »
Le problème décrit par Véronique Lebar est très répandu, notamment, sur les réseaux sociaux, où de célèbres coachs sportifs et influenceurs organisent des « transformation challenges », incitant sans aucune prudence leurs clients à changer leur alimentation ou leur mode de vie. Avec des méthodes de vente très convaincantes, qui peuvent faire perdre toute lucidité ou tout libre arbitre.
Véronique Lebar décrit ainsi : « J’ai été frappée par le niveau de croyances d’un de ces athlètes. Son taux de fer était si élevé que son foie aurait pu cesser de fonctionner. C’est potentiellement létal. Mais j’étais face à un mur. J’ai tenté de lui montrer ses analyses et des articles scientifiques, il ne m’écoutait pas. Le seul avis qui comptait pour lui, c’était celui de la personne qui lui avait recommandé les compléments alimentaires. » Qui ne sont pourtant pas à prendre à la légère.
Ancienne joueuse de tennis de haut niveau devenue diététicienne du sport et chercheuse en nutrition, Alice Bellicha alerte également sur les conseils dits alternatifs en matière de nutrition : « Les compléments alimentaires ne sont utiles que si l’on n'a pas accès à une alimentation variée ou qu'elle ne couvre pas nos besoins. Il y a une responsabilité très grande de la part des gens qui conseillent ces compléments sans aucune prudence. »
Les précautions à prendre sont d'autant plus essentielles qu'il n'est pas rare de trouver des compléments alimentaires contaminés involontairement dans leur production par des substances nocives et/ou classées comme dopantes. Le cas de Paul Pogba, dont le contrôle positif à la testostérone pourrait être dû à l'absorption d'un complément alimentaire contenant cette hormone, l'a rappelé très récemment.
Selon toutes les personnes que nous avons interrogées, la crise sanitaire a encouragé de plus en plus d’encadrants du monde sportif à empiéter sur les choix de vie des athlètes. De façon parfois totalement inappropriée.
Enseignant en art martiaux, Willy Mangin explique par exemple avoir vu certains coachs et athlètes de son milieu attribuer des vertus sanitaires non avérées à leurs pratiques sportives : « Croyant sûrement bien faire, des professeurs ont essayé de développer des Chi-gong anti-Covid au début de la pandémie. Ils ont laissé entendre que l’on pouvait booster notre système immunitaire et donc se préserver du virus en respectant les bons enchaînements de mouvements. Déjà, ce n’est pas du tout avéré, et en plus ça a pu contribuer à la défiance globale contre des mesures de protection dont l’utilité est prouvée. »
Là encore, la trajectoire de Novak Djokovic est éclairante. Car ses changements alimentaires ont coïncidé avec l’adoption des croyances spirituelles propagées par Imaz. Dans ses livres et conférences, Pepe Imaz en exprime certaines qui semblent totalement déconnectées de la réalité. Il dit ainsi avoir rencontré une divinité libanaise qui lui aurait délivré pendant 23 jours consécutifs de nombreux messages.
De cette révélation, il tire des théories ésotériques, des propos complotistes (les traînées des avions intoxiqueraient les populations, le monde serait dirigé par treize familles néfastes appelées Illuminatis) ou des reproches virulents à la médecine conventionnelle, et notamment contre la vaccination. Djokovic va adopter une bonne partie de ces points de vue, en particulier le dernier.
Selon la Miviludes, « le risque de dérive sectaire est à craindre » et l'organisme alerte sur les textes d'Imaz :
« Il y a un risque non négligeable de rupture avec la société et d’enfermement dans ses convictions qui peut amener l’individu à participer à des groupes toujours plus extrêmes dans leurs convictions »
Grande connaisseuse des spiritualités contemporaines et de ses dangers, Elisabeth Feytit confirme retrouver dans les mots et croyances d’Imaz bon nombre de références New-Age.
Autrice du podcast de référence sur ces sujets, Méta de Choc, elle liste trois critères qui permettent d’identifier une situation d'emprise mentale : « L’exigence d’une alimentation draconienne, ce qui est à relativiser ici puisque les sportifs professionnels sont forcément soumis à des régimes stricts ; un vocabulaire propre et difficile à comprendre de l’extérieur ; le fait de désigner l’extérieur comme le mal. »
Pour l’Espagnol Luis Santamaría del Río, spécialiste des sectes et co-fondateur d'un Réseau ibéro-américain pour l'étude des sectes (RIES), Pepe Imaz est bien un « gourou New-Age ».
Novak Djokovic et Boris Becker, son entraîneur de 2013 à 2016.
Novak Djokovic a collaboré activement avec Pepe Imaz entre 2016 et 2018, au point que ce dernier affiche de façon répétée son adhésion au mantra « Amor y Paz ». Au point, aussi, que la présence d’Imaz devienne un problème aux yeux de son entourage professionnel.
Dès novembre 2016, les observateurs s’interrogent : pourquoi est-ce Imaz qui accompagne le Serbe lors du Masters 1000 de Bercy, et non pas ses coaches Marian Vajda et Boris Becker ?
Ces deux derniers semblent avoir désapprouvé la proximité de « Djoko » avec son guide spirituel : c’est l’une des raisons qui expliquerait la démission de Becker en décembre 2016, tandis que Marian Vajda (photo) a publiquement exigé qu’Imaz s’éloigne du joueur (en 2018, à un quotidien slovaque). Ce qui fut fait, même si les deux hommes ont continué à se fréquenter et à s'apporter un soutien public. Jusqu’à la crise sanitaire, au cours de laquelle sa proximité spirituelle et géographique avec Pepe Imaz a donc eu des conséquences extrêmes.
Certains voient dans l’attitude de Djokovic une fidélité remarquable en ses convictions, qui explique peut-être en partie sa carrière exceptionnelle. D’autres y voient un jusqu'au boutisme regrettable, n’oubliant pas que Djokovic a participé sans masque à plusieurs événements en public après avoir été testé positif au Covid-19, et craignant que le champion inspire à une partie de ses fans une crainte illégitime de la vaccination et de la médecine.
Certains estiment par ailleurs que les croyances du joueur l’ont rendu crédule et à la merci d’extorsions et manipulations. En juillet 2022, Novak Djokovic a inauguré des terrains de tennis au pied de collines présentées par un entrepreneur local controversé comme des pyramides construites jadis par une société oubliée, et qui auraient des effets bénéfiques pour la santé des visiteurs.
Lors du dernier Roland-Garros, il arborait sur le torse un patch présenté comme une technologie révolutionnaire lui permettant de performer. Un patch vendu plusieurs centaines d’euros et dont, selon ses concepteurs, la renommée a explosé grâce au Serbe. Mais tous les spécialistes considèrent qu’il s’agit d’une arnaque et d’un gadget inopérant, même si Djokovic a ajouté à Paris puis New York deux nouveaux tournois du Grand Chelem à son palmarès.
03 Le magnétiseur du foot professionnel
Dans le milieu du foot professionnel français, l’influence importante sur certains joueurs d’un thérapeute alternatif peu connu du grand public pose de nombreuses questions. Son nom rappelera peut-être quelque chose aux supporters de Bastia et de Rennes dans les années 1990 : Pierre Maroselli.
Après son honorable carrière pro, celui-ci s’est reconverti dans la magnothérapie, l'une des nombreuses disciplines alternatives non reconnues par la médecine et à l’efficacité non démontrée mais qui ambitionne de soigner grâce aux champs magnétiques.
Plusieurs de ses anciens clients le disent très sympathique et certains estiment que son magnétisme peut être utile à ceux qui y croient. Une personne extérieure au monde du sport et souffrant d’anorexie assure que Pierre Maroselli a eu, pendant un temps, un impact positif sur elle lors de nombreux échanges téléphoniques.
En 2016, une enquête de « L'Équipe » interrogeait l’influence voire l’emprise du magnétiseur sur ses clients. Notamment le plus fidèle d’entre eux, le footballeur français Hatem Ben Arfa, qui aurait même envisagé de refuser de participer à l'Euro 2016 si Didier Deschamps n'acceptait pas la présence de Maroselli à ses côtés pendant la compétition.
Contacté à ce sujet, Hatem Ben Arfa ne nous a pas répondu. Pierre Maroselli, lui, a accepté de nous parler pendant plus de deux heures au téléphone, à condition que nous ne citions pas ses propos et afin de « sentir » s’il devait ou non nous donner une interview en bonne et due forme. Après plusieurs semaines de suspense, il a finalement renoncé.
Lors de notre entretien, il a certifié travailler, encore aujourd’hui, avec plusieurs joueurs évoluant en Ligue 1 et prendre parfois l’avion pour effectuer avec eux des séances de thérapie. Il a aussi assuré être en mesure d’effectuer des diagnostics et des soins à distance.
Citant Kylian Mbappé ou Neymar, il a précisé pouvoir ressentir l’état de santé actuel de joueurs sans même les avoir vus.
Il s’est également livré spontanément à un diagnostic à distance sur l’auteur de ses lignes : à plusieurs reprises pendant l’entretien et malgré notre gêne perceptible et nos contestations, il a tenu à diagnostiquer une « rupture affective avec la mère » mais aussi des soucis au niveau du pancréas.
Cette initiative était probablement bienveillante et a été suivie d’une proposition de traitement par ses soins. Selon lui, beaucoup de sportifs auraient aussi intérêt à le suivre, puisqu’il peut les aider à performer.
Il semble difficile de ne pas voir de potentiels dangers dans ces affirmations. Elles nous rappellent de très près les alertes que nous avait données Elisabeth Feytit, ancienne championne de France scolaire de judo et pratiquante de roller acrobatique à haut niveau. Elle qui connaît très bien les dérives psychologiques constatées dans le milieu du coaching expliquait :
« Dans le coaching sportif comme dans le coaching en général, le risque vient des personnes qui vous disent : “je sais mieux que vous ce dont vous avez besoin” »
Largement inspiré du développement personnel et du coaching, c’est toute la philosophie de Pierre Maroselli qui peut s’avérer alarmante.
Lors de notre entretien, ce dernier a revendiqué baser ses soins sur une théorie dite de la « loi de l’attraction ». Celle-ci consiste à dire que nos pensées ont le pouvoir d’influencer le réel. Pour réussir sa vie, il faut d’abord la penser de façon positive.
Dans un certain contexte, elle peut imprégner certains athlètes d'une culture de la gagne. Mais elle est souvent dangereuse puisqu’elle laisse entendre que les personnes en souffrance sont responsables de leurs malheurs… faute d’avoir suffisamment pensé positivement.
Il est parfois difficile de faire la part des choses entre de simples choix à contre-courant, tout à fait légitimes, et des conseils néfastes pouvant mener à des dérives. La frontière n’est pas si simple à identifier, d’autant plus que les croyances et thérapies alternatives ne se cantonnent pas aux réseaux sociaux et à l’entourage éloignés des sportifs mais peuvent être diffusées au cœur même des clubs et instances sportives françaises.
Martine Gardénal.
La très controversée docteur Martine Gardénal, par exemple, a exercé dans les années 1980 au sein des équipes de France de tir et d'équitation mais aussi pendant plusieurs années et jusqu’en 2012 au sein du pôle médical de l’Insep.
Elle s’est spécialisée dans des pratiques à l’utilité non démontrée, dont l’homéopathie, a été suspendue par l’Ordre des médecins mais aussi condamnée pour « charlatanisme » à la suite de poursuites engagées par la Sécurité sociale en 2007. Contacté à son sujet, l’Insep indique simplement que l’homéopathie n’est « pas ou très peu utilisée aujourd’hui » en son sein.
Depuis son départ de l’INSEP, Martine Gardénal a publié plusieurs ouvrages, notamment sur l’homéopathie dans le sport, diffusé des affirmations fausses sur la crise sanitaire ou invité les sportifs à renoncer à la vaccination. Ses anciennes fonctions au sein de l’élite du sport français sont encore systématiquement citées comme des attestations de sa crédibilité.
Il n'est pas question ici de tracer la limite de la superstition et de la pensée magique dans le sport. Les exemples sont légion et en font souvent la beauté, des neufs tics systématiques de Nadal avant chacun de ses services aux discours performatifs prononcés par des coachs enflammés, en passant par ces joueurs de Montpellier qui, comme on agiterait un gri-gri, se rendaient en 2020 et 2021 au stade de la Mosson dans un vieux Scenic dont le pot d’échappement touchait terre mais qui, à leurs yeux, avait la capacité de les faire gagner.
Richard Monvoisin est enseignant à l'Université Grenoble-Alpes et spécialiste de l'analyse des théories controversées. Il a aussi pratiqué la course à pied à haut niveau puis participé à pas mal de courses en montagne. Il confirme que les rituels et la pensée magique font partie intégrante de l’histoire du sport et cite deux exemples tirés du livre du médecin du sport Jean-Pierre de Mondénard (Dopage aux Jeux olympiques, la triche récompensée).
Spyrídon Loúis premier champion olympique du marathon lors des JO de 1896 et Joseph Guillemot champion olympique du 5000 mètres en 1920 à Anvers.
Spyrídon Loúis, le vainqueur du premier marathon des JO modernes à Athènes en 1896, priait pendant deux nuits puis jeûnait un jour entier avant chaque épreuve. L’athlète Joseph Guillemot a, lui, performé aux JO d’Anvers en 1920 après avoir bu ce qu’un proche lui avait présenté comme une boisson magique. Ce n’était que de l’eau sucrée…
Selon ce défenseur de la pensée critique, ces rituels peuvent tout à fait avoir leur utilité dans le sport en tant que « gain de confiance » :
« En se raccrochant à quelque chose, que ce soit le magnétisme, les graines de chia ou l’arrêt du gluten, l’athlète a une illusion de contrôle. C’est très rassurant alors que le sport est tout de même un domaine où on manque cruellement de contrôle »
Alors comment définir et détecter ce qui peut relever de l'emprise ? Willy Mangin appelle les personnes qui entourent les sportifs à se former à l’éthique et à la déontologie, pour questionner les limites et les devoirs liés à leurs fonctions. Richard Monvoisin propose, lui, une solution qui a fait ses preuves dans la recherche médicale : le placebo ouvert.
Car le fait de savoir que l’on a recours un placebo ne supprimerait pas son effet positif. Libre à chaque sportif d’adhérer de façon « ouverte », et donc consciente, à ses propres recettes secrètes voire magiques, sans dérive possible. Et sans gluten, si ça leur chante.
Le sport et les sectes, une longue histoire
C’est par des tueries de masse que les mouvements sectaires ont commencé à attirer l’attention dans les années 1980 et 1990. En 1978, plus de 900 personnes se suicident au Guyana, au sein d’une secte dirigée par le gourou américain Jim Jones. Plusieurs dizaines d’adeptes de l’Ordre du Temple solaire vont ensuite mourir au milieu des années 1990 à la suite d’assassinats et/ou suicides collectifs.
Le 23 décembre 1995, la police française retrouve les corps immolés et disposés en étoile de seize personnes dans la clairière du Puits-de-l’Enfer, dans le Vercors. Parmi elles, trois jeunes enfants mais aussi la double championne de France de ski de descente Edith Vuarnet et son fils, membres de la secte.
Ce dernier drame a secoué l’opinion et conduit les autorités françaises à recenser les mouvements inquiétants et à lutter contre les dérives sectaires en créant une mission dédiée (la Miviludes, Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).
On découvre à l’époque qu’un mouvement comme la Scientologie, considérée comme une secte en France, revendique plusieurs dizaines de milliers de membres dans notre pays. Dont certains sportifs renommés comme le pilote français Philippe de Henning, directement sponsorisé par le mouvement, mais aussi la championne de 100 m haies Anne Piquereau - qui connut de nombreux déboires à la suite d’accusations de prosélytisme - ou encore l’ancien vainqueur de la Coupe Davis Arnaud Boetsch.
« C'était une époque où je voulais être mieux dans mon tennis et dans ma vie. Qui ne souhaite pas s'améliorer ? Le tennis est un sport stressant, je cherchais des solutions comme d'autres vont chez le psy ou font du yoga »
Ces grands mouvements conservent aujourd’hui leur poids et certains liens avec le monde du sport.
L'Église de scientologie, condamnée en 2013 pour escroquerie en bande organisée, œuvre ainsi à la construction d’un immense centre de formation juste en face du Stade de France, dont l’ouverture est prévue avant le début des Jeux Olympiques 2024.
Mais les dérives et l’emprise sectaire se sont beaucoup diversifiées. Son impact sur nos sociétés et sur le monde sportif également. Longuement décrié dans le dernier rapport de la Miviludes, le mouvement ésotérique de l’anthroposophie a par exemple provoqué la controverse dans le monde du handball en 2021 quand l’entreprise pharmaceutique Weleda, liée à plus égards à ce mouvement, est devenue partenaire et « fournisseur officiel » de la FFH.
Ce qui, aux yeux de plusieurs structures luttant contre les dérives sectaires, notamment la Ligue des droits de l’homme, donnent une vitrine regrettable à ce mouvement.
De même questions se posent sur une autre société, Herbalife, qui a noué des liens avec de très nombreuses personnalités et clubs sportifs, de Cristiano Ronaldo à la Fédération française de volley-ball en passant par l’Ajax Amsterdam.
Problème : Herbalife, régulièrement accusée d’escroquerie, a été condamnée aux Etats-Unis pour vente pyramidale.
Ses produits ont été mis en cause dans de nombreux cas de problèmes hépatiques. Contactée, la Miviludes explique avoir reçu plus de 20 saisines au sujet d’Herbalife à la fois en 2022 et en 2023, notamment de personnes s’inquiétant pour leurs proches ayant rejoint cette structure.
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Re: revue de presse
Scalp a écrit:https://www.lequipe.fr/explore/wf12
Gare aux gourous
Ils gravitent dans l'entourage de certains des plus grands athlètes comme des sportifs amateurs et ont développé leur emprise à la faveur de la crise sanitaire. Mi-conseillers, mi-thérapeutes, qui sont ces nouveaux gourous ?
écrit par Thibaut Schepman
Le nombre de signalements de dérives sectaires a quasiment doublé sur les six dernières années et cette hausse est en bonne partie liée à des agissements dans le milieu de la santé, de l’alimentation et du bien-être.
Le sport, à la croisée de ces mondes, est au cœur de la tempête, parce qu'il peut conduire à des habitudes nocives et des situations d’emprises mentales.
C’est l’un des meilleurs marathoniens amateurs français qui a été happé par des théories extrêmes sur l’alimentation et a fini par tomber en dénutrition.
C’est Novak Djokovic qui, avant de remporter à l'US Open son 24e titre du Grand Chelem, a mis en danger sa carrière mais aussi sa santé et celle des autres au nom de croyances ésotériques.
C’est aussi un thérapeute autoproclamé qui manipule en France de nombreux joueurs de foot pro avec des outils occultes.
Enquête sur ces personnages à l'influence grandissante.
01 L’ombre de Thierry Casasnovas
Un gourou en toge blanche, des signes ésotériques ou des séances de prières mystiques collectives. Dans l’imaginaire collectif, voici à quoi ressemble une secte.
Mais les nouveaux mouvements sectaires prennent des formes multiples et s’éloignent des clichés. Aux yeux des autorités, un naturopathe est devenu ces derniers mois l’incarnation de ce genre de mutation.
Son nom : Thierry Casasnovas.
Thierry Casasnovas sur sa chaine Youtube.
En mars 2023, celui qui est désormais qualifié de « gourou du cru » a été mis en examen pour :
« abus de confiance »
« abus de faiblesse »
« faux et usage de faux »
« exercice illégal de la médecine »
« exercice illégal de la pharmacie »
« pratiques commerciales trompeuses »
« abus de biens sociaux »
« blanchiment »
Pour l'ancien chef de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) Christian Gravel, il est même « l’archétype de la nouvelle génération d’entrepreneurs sectaires, de prédateurs sectaires ». L’organisme dit avoir reçu depuis 2012 plusieurs centaines de signalements le concernant. Un record.
Thierry Casasnovas n’est plus autorisé à s’exprimer en public sur la santé ou le bien-être, aussi ses 600 000 abonnés se contenteront des centaines de vidéos déjà publiées sur Youtube.
Au milieu des années 2010, alors qu’il était encore peu connu du grand public, Thierry Casasnovas est parvenu à séduire un profil de personnes bien particulier : celui des sportifs et notamment des spécialistes de l’endurance.
À l’époque, il se présente comme quelqu’un ayant « passé une bonne partie de sa vie à courir de l’ultra-longue distance » et réussi des performances sportives exceptionnelles.
Il laisse entendre qu’il a couru le semi-marathon en moins de 1 h 15 - moins de 1% des coureurs référencés en France à l'époque en étaient capables - voire 1 h 09, soit l’équivalent du record de France féminin de l’époque, ou un niveau permettant de monter sur le podium masculin de pas mal de courses nationales dans les années 2000.
Il n’existe aucune trace de ces chronos et ceux-ci paraissent sujet à caution quand on les croise avec d’autres éléments de sa biographie : il a lui-même témoigné d'avoir eu une très mauvaise hygiène de vie à l'époque.
Contacté par « L'Equipe », ce dernier maintient avoir couru sous les 1 h 15 : « C'est un bon niveau pour des coureurs qui s'entraînent très sérieusement, ce qui était mon cas », précise-t-il dans un mail dont une copie a été adressée à son avocat, le très critiqué Fabrice Di Vizio.
De même, Casasnovas se défend face aux mises en cause dont il fait l'objet et conteste tout agissement sectaire : « La notion de secte répond à des critères précis qu'ils (la Miviludes) décrivent eux mêmes fort bien sur leur site internet et aucun de ces critères ne s'applique à mon activité. »
Mettre en avant ces chronos lui a en tout cas permis d’approcher certains hauts responsables du sport français. En 2015, par exemple, un responsable du Pôle France de Jiu-Jitsu brésilien l'invitait à présenter un long exposé sur « les paramètres physiologiques de la performance » à de jeunes athlètes présents pour un stage de sélection.
L’un des professeur de Jiu-Jitsu présents, après avoir justement rapporté à la presse locale le fameux chrono de 1 h 09 de Thierry Casasnovas sur semi-marathon, présentait ce dernier comme « spécialiste de la nutrition » et commentait :
« S'il y a bien une conférence qu'il ne vous faut pas manquer dans un lieu convivial, c'est celle-là... »
Ce discours rejoint celui de Casasnovas qui, dans une vidéo intitulée « Le meilleur régime pour courir, du jogging à l'ultra marathon », prétendait par exemple pouvoir « booster par deux » les performances en mangeant essentiellement des fruits et légumes crus sous forme de jus.
Sa légitimité est remise en question : en effet, s'il est naturopathe, il n’a de diplôme reconnu ni en nutrition, ni en médecine du sport.
S’il a pu œuvrer au plus près des athlètes, c’est surtout en ligne que ce prédicateur passionné de nourriture crue et de jeûne a eu le plus d’impact sur la vie de ses suiveurs.
Tombé sous l'influence de Thierry Casasnovas en 2015, le marathonien amateur Maxime Lopes dit avoir repris aujourd'hui une alimention équilibrée. Devenu docteur en psychologie du sport et entraîneur de course à pied, il témoigne volontiers de cette époque révolue.
Maxime Lopes pendant son entraînement au Kénya.
En 2023, il a atteint un niveau exceptionnel pour un marathonien amateur, proche de certains professionnels (2 h 17 en avril à Rotterdam). Quelques jours après notre entretien, Maxime Lopes s’envolait pour le Kenya pour deux semaines d'entraînement. Son partenaire lors de nombreuses séances : Mathieu Blanchard, 2e de l’UTMB 2022 et alors en pleine préparation pour le marathon de Paris qu’il bouclera en 2 h 22.
Les résultats de Maxime Lopes sont d’autant plus exceptionnels qu’il a démarré la course tardivement. C’était en 2014, alors qu’il était étudiant au Québec. Cette année-là, à peine quelques mois d'entraînement lui suffisent pour prendre conscience de ses capacités.
Il se passionne pour ce sport, progresse rapidement et se convainc très vite d’une chose : il doit changer son alimentation pour perdre du poids et exploiter tout son potentiel. Il va plutôt mettre en grand danger sa santé mentale et physique.
Début 2015, le coureur découvre sur Youtube des méthodes d’alimentation dites alternatives comme le crudivorisme et le jeûne. Et adhère principalement selon lui aux idées du naturopathe Thierry Casasnovas : « Je me pesais plusieurs fois par jour. Je cherchais l’alimentation parfaite et je réalise aujourd’hui que j’étais prêt à croire beaucoup de choses. Je me suis fait avoir par Thierry Casasnovas, qui est un très bon orateur. J’ai passé des heures devant ses vidéos. »
Le récit de Maxime Lopes permet de comprendre comment certaines croyances peuvent se graver dans notre esprit. Il décrit par exemple :
« Ces vidéos ont créé chez moi des schémas, une idéologie de la pureté, J’ai intégré des concepts comme “c’est mal de manger tel ou tel produit” ou même “manger, ça fait de toi une mauvaise personne”. Ça crée une culpabilité dont il est très difficile de se débarrasseR »
Pour les adeptes et anciens adeptes, témoigner est difficile. « C’est très ''émotionnel'' pour moi, reconnaît Maxime Lopes. Je suis très irrité, ça me rappelle trop de choses. C’est allé loin, j’ai même convaincu mes parents d’acheter une machine, un extracteur de jus, pour boire les jus comme Thierry Casasnovas. »
Quand on l'interroge sur l'influence qu'il a pu avoir sur les personnes qui regardaient ses vidéos et ont eu des comportements à risque, le naturopathe rétorque : « N'avez-vous aucun esprit critique ou faites-vous semblant d'être bête pour faire des associations faciles et médiocres dans l'objectif de m'accuser ? À moins que vous puissiez me dire que je l'ai personnellement coaché (ce qui m'étonnerait fort), ou au minimum me dire quels conseils il a suivis ? Puis d'enquêter en tant qu'expert journaliste s'il a bien compris mon message, ou encore s'il les a réellement appliqués (ce qui est impossible à vérifier), ou s'il n'a pas des troubles du comportement alimentaire ? »
Le youtubeur invite par ailleurs à s'intéresser aux coureurs qui « suivent son travail », citant entre autres le controversé Florian Gomet.
Maxime Lopes sur sa chaîne Youtube.
Maxime Lopes, lui, est aujourd’hui auteur d’une chaîne Youtube - appelée Runwise - de référence sur la course à pied, où il indique ne transmettre que des informations basées sur la science. Une démarche de vérité qu’il considère comme une thérapie. Et qu’il poursuit en expliquant dans le détail les répercussions qu’ont eues ces croyances sur sa vie.
Retour en 2015. Au bout de quelques semaines de jeûnes répétés, le marathonien raconte qu'il dort très mal et souffre de maux de têtes réguliers. De graves symptômes de dénutrition, même s'il refuse d'abord d’admettre ce qui lui apparaît aujourd'hui comme une évidence :
« J’étais totalement dans le déni jusqu’à ce que ma mère vienne pour un séjour au Canada. Dès qu’elle m’a vu, elle m’a trouvé très, très amaigri »
« On est parti explorer le Québec et dès le premier déjeuner avec elle, j’ai craqué : je me suis rué sur la nourriture. Et j’ai réalisé à quel point j’étais en sous-nutrition depuis des mois. »
Malgré cet épisode, l'athlète dit avoir mis du temps à retrouver une alimentation plus saine : « Fin 2015, parce que mes performances sportives étaient mauvaises, explique-t-il. Avec le recul, je me dis que c’est le meilleur truc qui me soit arrivé. Ça a été long d’en sortir, j’ai eu des hauts et des bas jusqu’en 2019. Mais j’ai de la chance : je connais des gens qui ont d’abord surperformé un bon moment en entrant là-dedans et qui ont beaucoup de mal à s’en détacher. »
Ce genre de dérives potentielles dépassent le seul cas de Thierry Casasnovas. Plusieurs personnalités du monde sportif nous ont dit avoir constaté la place grandissante de croyances toxiques en lien avec l’alimentation. Nicolas Sajus, docteur en psychologie qui a accompagné de nombreux sportifs et clubs, en particulier en Ligue 2, détaille par exemple :
« J’ai vu des coachs donner des impératifs alimentaires très stricts avec une dimension presque spirituelle, j’ai trouvé plusieurs jeunes sportifs en danger parce qu’ils renoncent à beaucoup trop d’aliments »
Willy Mangin, qui est président de la Société française de nutrition du sport mais aussi ceinture noire et enseignant en arts martiaux chinois, confirme et appelle à la modestie les professionnels du sport non formés à la nutrition, à commencer par les entraîneurs :
« Une étude scientifique australienne a été menée sur des coaches sportifs assermentés qui ont l’habitude de conseiller leurs athlètes en termes d’alimentation. Elle a montré qu’ils avaient plutôt une grande confiance dans leur niveau de connaissance alors qu'en moyenne, celui-ci est assez faible. »
Ancienne présidente de l’association « Ethique et sport », la médecin du sport et nutritionniste Véronique Lebar raconte avoir reçu en consultation de nombreux athlètes ayant adopté des comportements extrêmes.
Et selon elle, la plupart des influenceurs, coaches et naturopathes ayant conduit ses patients à une nutrition dysfonctionnelle ont une vision manichéenne des aliments. Ils laissent entendre que certains aliments sont toujours mauvais pour tout le monde et rendraient même mauvais les personnes qui les consomment. Avec deux marottes : le lait et le gluten.
02 Djokovic, le gourou et le gluten
L’échange de regard est intense, la complicité évidente. A gauche de la photo prise début janvier 2022, celui qui est en train de se bâtir le plus beau palmarès de l'histoire du tennis : Novak Djokovic. A droite, un ancien tennisman professionnel surnommé Pepe Imaz et dont l’habituel vêtement blanc est recouvert d’une doudoune.
Imaz joue le rôle d'« accompagnant spirituel » pour plusieurs personnalités espagnoles et joueurs de tennis, et dirige une école de tennis destinée aux enfants appelée Amor & Paz et installée à Marbella, au sein de l'Hôtel Puente Romano.
Novak Djokovic et Pepe Imaz en janvier 2022.
C’est là, sur le court numéro 5, que Djokovic et Pepe Imaz ont été photographiés. A elle-seule, l'image incarne les turpitudes du Serbe. Elle fut d’abord l’un des éléments à charge contre le joueur de 36 ans dans le conflit qui l’a opposé, début 2022, aux autorités australiennes et a mené jusqu’à son arrestation, sa détention et enfin son départ du pays.
Elle prouve en effet que le champion a bien séjourné en Espagne avant de se rendre à Melbourne, contrairement à ce qu’affirmait son questionnaire d'entrée sur le territoire australien. On peut y voir un symbole : Pepe Imaz, présenté encore aujourd'hui comme le conseiller mental du joueur, est au centre de ce cliché polémique comme il est indissociable des choix les plus controversés de Djokovic depuis qu’il a adopté des croyances très personnelles en matière de santé et d’alimentation.
Dans son livre sorti en 2014 « Service gagnant - Une alimentation sans gluten pour une parfaite forme physique et mentale », Novak Djokovic donne une date qui constitue un tournant dans sa perception de son propre corps et de la santé humaine en générale : le 27 janvier 2010, douze ans avant la photo avec Imaz donc.
Ce jour-là, il affronte Jo-Wilfried Tsonga en quart de finale de l’Open d’Australie. Il tient longtemps tête au Français, mais se met à souffrir de difficultés respiratoires. Il s’effondre physiquement et perd le match. Quelque chose dans son propre corps semble l’avoir trahi.
Peu après cette défaite, explique-t-il, il est contacté par un nutritionniste serbe appelé Igor Cetojevic et qui lui assure avoir vu par hasard la rencontre à la télé et identifié son problème. L’homme se dit en mesure de faire un diagnostic à distance :
« Il a deviné que la réponse résidait dans mon alimentation. Il a supposé plus précisément que mes problèmes respiratoires étaient la conséquence d’un déséquilibre de mon système digestif qui provoquait une accumulation de toxines dans mes intestins »
Celui qui est alors n°3 mondial décide de rencontrer Igor Cetojevic au mois de juillet suivant. Ce dernier lui propose de tester l’impact que peut avoir une tranche de pain sur son organisme. Pas besoin de machine pour ce faire : le nutritionniste se contente d’appuyer avec la main sur le bras du tennisman pendant que ce dernier contracte le biceps.
Le test est réalisé avec et sans tranche de pain, et démontre aux yeux du praticien alternatif que le bras du champion est plus puissant dans le second cas. Ce qui, selon lui, serait la preuve que son corps « rejette le blé du pain ». Le test est assez connu dans le milieu des thérapies dites alternatives et appartient à un courant de pensée appelé kinésiologie.
Igor Cetojevic et Novak Djokovic.
En France, il est particulièrement suivi par les autorités depuis 2005. A l’époque, à Quimper, des parents avaient adopté au nom de la kinésiologie des pratiques alimentaires extrêmes pour leur nourrisson jusqu’à ce que ce dernier décède de malnutrition.
La Miviludes a, depuis, alerté à plusieurs reprises sur la kinésiologie, qui repose sur des intuitions à l’utilité non avérée et peut conduire à des pratiques à risques et des situations d’emprise mentale.
En 2017, l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a évalué la kinésiologie et notamment le fameux test musculaire dont a bénéficié Djokovic. Elle concluait : « Les études réalisées sur la validité et la fiabilité du test musculaire manuel ne sont pas convaincantes et ne permettent pas de conclure à une quelconque validité. »
Mais ce courant séduit particulièrement les sportifs : Lionel Messi consulte régulièrement son kinésiologue favori, tandis qu’une école de kinésiologie du sport ouverte en 2022 revendique de travailler avec de nombreux clubs professionnels français dont l’AS Monaco, l’Olympique Lyonnais ou l’Asvel.
Le docteur Giuliano Poser, kinésiologue de Lionel Messi.
Après ce test kinésiologique, Novak Djokovic va non seulement renoncer au gluten mais aussi au lait et aux excès de sucre. Il se met à boire de l'eau chaude pour, croit-il, « ne pas dévier le sang de (ses) muscles » et prend systématiquement deux cuillères d'un miel bien spécifique au réveil.
Il va également attacher plus d’importance à son sommeil et à la gestion de son stress. Des décisions dont il se félicite : il dit se sentir mieux et estime que cela l’a aidé à remporter des victoires importantes (en 2011, il gagnera en Australie, à Wimbledon et à l'US Open).
Ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui ont voulu s’inspirer de lui : en 2013, Andy Murray disait ainsi au Telegraph : « J'ai essayé pendant deux ans (de me passer du gluten) mais ça n'a pas marché. Je me sentais très mal : j'ai perdu du poids et toute mon énergie. »
Les déconvenues peuvent être bien plus graves. Car aux risques sanitaires s’ajoutent un potentiel déni de réalité et un assujettissement psychologique, selon Véronique Lebar : « Ce matin-même, j’avais un patient dans cette situation dans mon cabinet. Un jeune homme qui avait des analyses de sang parfaites mais voulait aller toujours plus loin, faire d’autres analyses. Il me parlait de théories farfelues sur la nutrition, parce qu’il avait rencontré un naturopathe très dogmatique qui lui dictait sa conduite et lui diagnostiquait des problèmes tout aussi farfelus. Pour moi, il était sous emprise. »
Le problème décrit par Véronique Lebar est très répandu, notamment, sur les réseaux sociaux, où de célèbres coachs sportifs et influenceurs organisent des « transformation challenges », incitant sans aucune prudence leurs clients à changer leur alimentation ou leur mode de vie. Avec des méthodes de vente très convaincantes, qui peuvent faire perdre toute lucidité ou tout libre arbitre.
Véronique Lebar décrit ainsi : « J’ai été frappée par le niveau de croyances d’un de ces athlètes. Son taux de fer était si élevé que son foie aurait pu cesser de fonctionner. C’est potentiellement létal. Mais j’étais face à un mur. J’ai tenté de lui montrer ses analyses et des articles scientifiques, il ne m’écoutait pas. Le seul avis qui comptait pour lui, c’était celui de la personne qui lui avait recommandé les compléments alimentaires. » Qui ne sont pourtant pas à prendre à la légère.
Ancienne joueuse de tennis de haut niveau devenue diététicienne du sport et chercheuse en nutrition, Alice Bellicha alerte également sur les conseils dits alternatifs en matière de nutrition : « Les compléments alimentaires ne sont utiles que si l’on n'a pas accès à une alimentation variée ou qu'elle ne couvre pas nos besoins. Il y a une responsabilité très grande de la part des gens qui conseillent ces compléments sans aucune prudence. »
Les précautions à prendre sont d'autant plus essentielles qu'il n'est pas rare de trouver des compléments alimentaires contaminés involontairement dans leur production par des substances nocives et/ou classées comme dopantes. Le cas de Paul Pogba, dont le contrôle positif à la testostérone pourrait être dû à l'absorption d'un complément alimentaire contenant cette hormone, l'a rappelé très récemment.
Selon toutes les personnes que nous avons interrogées, la crise sanitaire a encouragé de plus en plus d’encadrants du monde sportif à empiéter sur les choix de vie des athlètes. De façon parfois totalement inappropriée.
Enseignant en art martiaux, Willy Mangin explique par exemple avoir vu certains coachs et athlètes de son milieu attribuer des vertus sanitaires non avérées à leurs pratiques sportives : « Croyant sûrement bien faire, des professeurs ont essayé de développer des Chi-gong anti-Covid au début de la pandémie. Ils ont laissé entendre que l’on pouvait booster notre système immunitaire et donc se préserver du virus en respectant les bons enchaînements de mouvements. Déjà, ce n’est pas du tout avéré, et en plus ça a pu contribuer à la défiance globale contre des mesures de protection dont l’utilité est prouvée. »
Là encore, la trajectoire de Novak Djokovic est éclairante. Car ses changements alimentaires ont coïncidé avec l’adoption des croyances spirituelles propagées par Imaz. Dans ses livres et conférences, Pepe Imaz en exprime certaines qui semblent totalement déconnectées de la réalité. Il dit ainsi avoir rencontré une divinité libanaise qui lui aurait délivré pendant 23 jours consécutifs de nombreux messages.
De cette révélation, il tire des théories ésotériques, des propos complotistes (les traînées des avions intoxiqueraient les populations, le monde serait dirigé par treize familles néfastes appelées Illuminatis) ou des reproches virulents à la médecine conventionnelle, et notamment contre la vaccination. Djokovic va adopter une bonne partie de ces points de vue, en particulier le dernier.
Selon la Miviludes, « le risque de dérive sectaire est à craindre » et l'organisme alerte sur les textes d'Imaz :
« Il y a un risque non négligeable de rupture avec la société et d’enfermement dans ses convictions qui peut amener l’individu à participer à des groupes toujours plus extrêmes dans leurs convictions »
Grande connaisseuse des spiritualités contemporaines et de ses dangers, Elisabeth Feytit confirme retrouver dans les mots et croyances d’Imaz bon nombre de références New-Age.
Autrice du podcast de référence sur ces sujets, Méta de Choc, elle liste trois critères qui permettent d’identifier une situation d'emprise mentale : « L’exigence d’une alimentation draconienne, ce qui est à relativiser ici puisque les sportifs professionnels sont forcément soumis à des régimes stricts ; un vocabulaire propre et difficile à comprendre de l’extérieur ; le fait de désigner l’extérieur comme le mal. »
Pour l’Espagnol Luis Santamaría del Río, spécialiste des sectes et co-fondateur d'un Réseau ibéro-américain pour l'étude des sectes (RIES), Pepe Imaz est bien un « gourou New-Age ».
Novak Djokovic et Boris Becker, son entraîneur de 2013 à 2016.
Novak Djokovic a collaboré activement avec Pepe Imaz entre 2016 et 2018, au point que ce dernier affiche de façon répétée son adhésion au mantra « Amor y Paz ». Au point, aussi, que la présence d’Imaz devienne un problème aux yeux de son entourage professionnel.
Dès novembre 2016, les observateurs s’interrogent : pourquoi est-ce Imaz qui accompagne le Serbe lors du Masters 1000 de Bercy, et non pas ses coaches Marian Vajda et Boris Becker ?
Ces deux derniers semblent avoir désapprouvé la proximité de « Djoko » avec son guide spirituel : c’est l’une des raisons qui expliquerait la démission de Becker en décembre 2016, tandis que Marian Vajda (photo) a publiquement exigé qu’Imaz s’éloigne du joueur (en 2018, à un quotidien slovaque). Ce qui fut fait, même si les deux hommes ont continué à se fréquenter et à s'apporter un soutien public. Jusqu’à la crise sanitaire, au cours de laquelle sa proximité spirituelle et géographique avec Pepe Imaz a donc eu des conséquences extrêmes.
Certains voient dans l’attitude de Djokovic une fidélité remarquable en ses convictions, qui explique peut-être en partie sa carrière exceptionnelle. D’autres y voient un jusqu'au boutisme regrettable, n’oubliant pas que Djokovic a participé sans masque à plusieurs événements en public après avoir été testé positif au Covid-19, et craignant que le champion inspire à une partie de ses fans une crainte illégitime de la vaccination et de la médecine.
Certains estiment par ailleurs que les croyances du joueur l’ont rendu crédule et à la merci d’extorsions et manipulations. En juillet 2022, Novak Djokovic a inauguré des terrains de tennis au pied de collines présentées par un entrepreneur local controversé comme des pyramides construites jadis par une société oubliée, et qui auraient des effets bénéfiques pour la santé des visiteurs.
Lors du dernier Roland-Garros, il arborait sur le torse un patch présenté comme une technologie révolutionnaire lui permettant de performer. Un patch vendu plusieurs centaines d’euros et dont, selon ses concepteurs, la renommée a explosé grâce au Serbe. Mais tous les spécialistes considèrent qu’il s’agit d’une arnaque et d’un gadget inopérant, même si Djokovic a ajouté à Paris puis New York deux nouveaux tournois du Grand Chelem à son palmarès.
03 Le magnétiseur du foot professionnel
Dans le milieu du foot professionnel français, l’influence importante sur certains joueurs d’un thérapeute alternatif peu connu du grand public pose de nombreuses questions. Son nom rappelera peut-être quelque chose aux supporters de Bastia et de Rennes dans les années 1990 : Pierre Maroselli.
Après son honorable carrière pro, celui-ci s’est reconverti dans la magnothérapie, l'une des nombreuses disciplines alternatives non reconnues par la médecine et à l’efficacité non démontrée mais qui ambitionne de soigner grâce aux champs magnétiques.
Plusieurs de ses anciens clients le disent très sympathique et certains estiment que son magnétisme peut être utile à ceux qui y croient. Une personne extérieure au monde du sport et souffrant d’anorexie assure que Pierre Maroselli a eu, pendant un temps, un impact positif sur elle lors de nombreux échanges téléphoniques.
En 2016, une enquête de « L'Équipe » interrogeait l’influence voire l’emprise du magnétiseur sur ses clients. Notamment le plus fidèle d’entre eux, le footballeur français Hatem Ben Arfa, qui aurait même envisagé de refuser de participer à l'Euro 2016 si Didier Deschamps n'acceptait pas la présence de Maroselli à ses côtés pendant la compétition.
Contacté à ce sujet, Hatem Ben Arfa ne nous a pas répondu. Pierre Maroselli, lui, a accepté de nous parler pendant plus de deux heures au téléphone, à condition que nous ne citions pas ses propos et afin de « sentir » s’il devait ou non nous donner une interview en bonne et due forme. Après plusieurs semaines de suspense, il a finalement renoncé.
Lors de notre entretien, il a certifié travailler, encore aujourd’hui, avec plusieurs joueurs évoluant en Ligue 1 et prendre parfois l’avion pour effectuer avec eux des séances de thérapie. Il a aussi assuré être en mesure d’effectuer des diagnostics et des soins à distance.
Citant Kylian Mbappé ou Neymar, il a précisé pouvoir ressentir l’état de santé actuel de joueurs sans même les avoir vus.
Il s’est également livré spontanément à un diagnostic à distance sur l’auteur de ses lignes : à plusieurs reprises pendant l’entretien et malgré notre gêne perceptible et nos contestations, il a tenu à diagnostiquer une « rupture affective avec la mère » mais aussi des soucis au niveau du pancréas.
Cette initiative était probablement bienveillante et a été suivie d’une proposition de traitement par ses soins. Selon lui, beaucoup de sportifs auraient aussi intérêt à le suivre, puisqu’il peut les aider à performer.
Il semble difficile de ne pas voir de potentiels dangers dans ces affirmations. Elles nous rappellent de très près les alertes que nous avait données Elisabeth Feytit, ancienne championne de France scolaire de judo et pratiquante de roller acrobatique à haut niveau. Elle qui connaît très bien les dérives psychologiques constatées dans le milieu du coaching expliquait :
« Dans le coaching sportif comme dans le coaching en général, le risque vient des personnes qui vous disent : “je sais mieux que vous ce dont vous avez besoin” »
Largement inspiré du développement personnel et du coaching, c’est toute la philosophie de Pierre Maroselli qui peut s’avérer alarmante.
Lors de notre entretien, ce dernier a revendiqué baser ses soins sur une théorie dite de la « loi de l’attraction ». Celle-ci consiste à dire que nos pensées ont le pouvoir d’influencer le réel. Pour réussir sa vie, il faut d’abord la penser de façon positive.
Dans un certain contexte, elle peut imprégner certains athlètes d'une culture de la gagne. Mais elle est souvent dangereuse puisqu’elle laisse entendre que les personnes en souffrance sont responsables de leurs malheurs… faute d’avoir suffisamment pensé positivement.
Il est parfois difficile de faire la part des choses entre de simples choix à contre-courant, tout à fait légitimes, et des conseils néfastes pouvant mener à des dérives. La frontière n’est pas si simple à identifier, d’autant plus que les croyances et thérapies alternatives ne se cantonnent pas aux réseaux sociaux et à l’entourage éloignés des sportifs mais peuvent être diffusées au cœur même des clubs et instances sportives françaises.
Martine Gardénal.
La très controversée docteur Martine Gardénal, par exemple, a exercé dans les années 1980 au sein des équipes de France de tir et d'équitation mais aussi pendant plusieurs années et jusqu’en 2012 au sein du pôle médical de l’Insep.
Elle s’est spécialisée dans des pratiques à l’utilité non démontrée, dont l’homéopathie, a été suspendue par l’Ordre des médecins mais aussi condamnée pour « charlatanisme » à la suite de poursuites engagées par la Sécurité sociale en 2007. Contacté à son sujet, l’Insep indique simplement que l’homéopathie n’est « pas ou très peu utilisée aujourd’hui » en son sein.
Depuis son départ de l’INSEP, Martine Gardénal a publié plusieurs ouvrages, notamment sur l’homéopathie dans le sport, diffusé des affirmations fausses sur la crise sanitaire ou invité les sportifs à renoncer à la vaccination. Ses anciennes fonctions au sein de l’élite du sport français sont encore systématiquement citées comme des attestations de sa crédibilité.
Il n'est pas question ici de tracer la limite de la superstition et de la pensée magique dans le sport. Les exemples sont légion et en font souvent la beauté, des neufs tics systématiques de Nadal avant chacun de ses services aux discours performatifs prononcés par des coachs enflammés, en passant par ces joueurs de Montpellier qui, comme on agiterait un gri-gri, se rendaient en 2020 et 2021 au stade de la Mosson dans un vieux Scenic dont le pot d’échappement touchait terre mais qui, à leurs yeux, avait la capacité de les faire gagner.
Richard Monvoisin est enseignant à l'Université Grenoble-Alpes et spécialiste de l'analyse des théories controversées. Il a aussi pratiqué la course à pied à haut niveau puis participé à pas mal de courses en montagne. Il confirme que les rituels et la pensée magique font partie intégrante de l’histoire du sport et cite deux exemples tirés du livre du médecin du sport Jean-Pierre de Mondénard (Dopage aux Jeux olympiques, la triche récompensée).
Spyrídon Loúis premier champion olympique du marathon lors des JO de 1896 et Joseph Guillemot champion olympique du 5000 mètres en 1920 à Anvers.
Spyrídon Loúis, le vainqueur du premier marathon des JO modernes à Athènes en 1896, priait pendant deux nuits puis jeûnait un jour entier avant chaque épreuve. L’athlète Joseph Guillemot a, lui, performé aux JO d’Anvers en 1920 après avoir bu ce qu’un proche lui avait présenté comme une boisson magique. Ce n’était que de l’eau sucrée…
Selon ce défenseur de la pensée critique, ces rituels peuvent tout à fait avoir leur utilité dans le sport en tant que « gain de confiance » :
« En se raccrochant à quelque chose, que ce soit le magnétisme, les graines de chia ou l’arrêt du gluten, l’athlète a une illusion de contrôle. C’est très rassurant alors que le sport est tout de même un domaine où on manque cruellement de contrôle »
Alors comment définir et détecter ce qui peut relever de l'emprise ? Willy Mangin appelle les personnes qui entourent les sportifs à se former à l’éthique et à la déontologie, pour questionner les limites et les devoirs liés à leurs fonctions. Richard Monvoisin propose, lui, une solution qui a fait ses preuves dans la recherche médicale : le placebo ouvert.
Car le fait de savoir que l’on a recours un placebo ne supprimerait pas son effet positif. Libre à chaque sportif d’adhérer de façon « ouverte », et donc consciente, à ses propres recettes secrètes voire magiques, sans dérive possible. Et sans gluten, si ça leur chante.
Le sport et les sectes, une longue histoire
C’est par des tueries de masse que les mouvements sectaires ont commencé à attirer l’attention dans les années 1980 et 1990. En 1978, plus de 900 personnes se suicident au Guyana, au sein d’une secte dirigée par le gourou américain Jim Jones. Plusieurs dizaines d’adeptes de l’Ordre du Temple solaire vont ensuite mourir au milieu des années 1990 à la suite d’assassinats et/ou suicides collectifs.
Le 23 décembre 1995, la police française retrouve les corps immolés et disposés en étoile de seize personnes dans la clairière du Puits-de-l’Enfer, dans le Vercors. Parmi elles, trois jeunes enfants mais aussi la double championne de France de ski de descente Edith Vuarnet et son fils, membres de la secte.
Ce dernier drame a secoué l’opinion et conduit les autorités françaises à recenser les mouvements inquiétants et à lutter contre les dérives sectaires en créant une mission dédiée (la Miviludes, Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).
On découvre à l’époque qu’un mouvement comme la Scientologie, considérée comme une secte en France, revendique plusieurs dizaines de milliers de membres dans notre pays. Dont certains sportifs renommés comme le pilote français Philippe de Henning, directement sponsorisé par le mouvement, mais aussi la championne de 100 m haies Anne Piquereau - qui connut de nombreux déboires à la suite d’accusations de prosélytisme - ou encore l’ancien vainqueur de la Coupe Davis Arnaud Boetsch.
« C'était une époque où je voulais être mieux dans mon tennis et dans ma vie. Qui ne souhaite pas s'améliorer ? Le tennis est un sport stressant, je cherchais des solutions comme d'autres vont chez le psy ou font du yoga »
Ces grands mouvements conservent aujourd’hui leur poids et certains liens avec le monde du sport.
L'Église de scientologie, condamnée en 2013 pour escroquerie en bande organisée, œuvre ainsi à la construction d’un immense centre de formation juste en face du Stade de France, dont l’ouverture est prévue avant le début des Jeux Olympiques 2024.
Mais les dérives et l’emprise sectaire se sont beaucoup diversifiées. Son impact sur nos sociétés et sur le monde sportif également. Longuement décrié dans le dernier rapport de la Miviludes, le mouvement ésotérique de l’anthroposophie a par exemple provoqué la controverse dans le monde du handball en 2021 quand l’entreprise pharmaceutique Weleda, liée à plus égards à ce mouvement, est devenue partenaire et « fournisseur officiel » de la FFH.
Ce qui, aux yeux de plusieurs structures luttant contre les dérives sectaires, notamment la Ligue des droits de l’homme, donnent une vitrine regrettable à ce mouvement.
De même questions se posent sur une autre société, Herbalife, qui a noué des liens avec de très nombreuses personnalités et clubs sportifs, de Cristiano Ronaldo à la Fédération française de volley-ball en passant par l’Ajax Amsterdam.
Problème : Herbalife, régulièrement accusée d’escroquerie, a été condamnée aux Etats-Unis pour vente pyramidale.
Ses produits ont été mis en cause dans de nombreux cas de problèmes hépatiques. Contactée, la Miviludes explique avoir reçu plus de 20 saisines au sujet d’Herbalife à la fois en 2022 et en 2023, notamment de personnes s’inquiétant pour leurs proches ayant rejoint cette structure.
Super! Merci beaucoup! Je vais lire ça demain matin!
Roberto Miopalmo- J'aime l'Union à la folie
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Re: revue de presse
Roberto Miopalmo a écrit:Scalp a écrit:https://www.lequipe.fr/explore/wf12
Gare aux gourous
Ils gravitent dans l'entourage de certains des plus grands athlètes comme des sportifs amateurs et ont développé leur emprise à la faveur de la crise sanitaire. Mi-conseillers, mi-thérapeutes, qui sont ces nouveaux gourous ?
écrit par Thibaut Schepman
Le nombre de signalements de dérives sectaires a quasiment doublé sur les six dernières années et cette hausse est en bonne partie liée à des agissements dans le milieu de la santé, de l’alimentation et du bien-être.
Le sport, à la croisée de ces mondes, est au cœur de la tempête, parce qu'il peut conduire à des habitudes nocives et des situations d’emprises mentales.
C’est l’un des meilleurs marathoniens amateurs français qui a été happé par des théories extrêmes sur l’alimentation et a fini par tomber en dénutrition.
C’est Novak Djokovic qui, avant de remporter à l'US Open son 24e titre du Grand Chelem, a mis en danger sa carrière mais aussi sa santé et celle des autres au nom de croyances ésotériques.
C’est aussi un thérapeute autoproclamé qui manipule en France de nombreux joueurs de foot pro avec des outils occultes.
Enquête sur ces personnages à l'influence grandissante.
01 L’ombre de Thierry Casasnovas
Un gourou en toge blanche, des signes ésotériques ou des séances de prières mystiques collectives. Dans l’imaginaire collectif, voici à quoi ressemble une secte.
Mais les nouveaux mouvements sectaires prennent des formes multiples et s’éloignent des clichés. Aux yeux des autorités, un naturopathe est devenu ces derniers mois l’incarnation de ce genre de mutation.
Son nom : Thierry Casasnovas.
Thierry Casasnovas sur sa chaine Youtube.
En mars 2023, celui qui est désormais qualifié de « gourou du cru » a été mis en examen pour :
« abus de confiance »
« abus de faiblesse »
« faux et usage de faux »
« exercice illégal de la médecine »
« exercice illégal de la pharmacie »
« pratiques commerciales trompeuses »
« abus de biens sociaux »
« blanchiment »
Pour l'ancien chef de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) Christian Gravel, il est même « l’archétype de la nouvelle génération d’entrepreneurs sectaires, de prédateurs sectaires ». L’organisme dit avoir reçu depuis 2012 plusieurs centaines de signalements le concernant. Un record.
Thierry Casasnovas n’est plus autorisé à s’exprimer en public sur la santé ou le bien-être, aussi ses 600 000 abonnés se contenteront des centaines de vidéos déjà publiées sur Youtube.
Au milieu des années 2010, alors qu’il était encore peu connu du grand public, Thierry Casasnovas est parvenu à séduire un profil de personnes bien particulier : celui des sportifs et notamment des spécialistes de l’endurance.
À l’époque, il se présente comme quelqu’un ayant « passé une bonne partie de sa vie à courir de l’ultra-longue distance » et réussi des performances sportives exceptionnelles.
Il laisse entendre qu’il a couru le semi-marathon en moins de 1 h 15 - moins de 1% des coureurs référencés en France à l'époque en étaient capables - voire 1 h 09, soit l’équivalent du record de France féminin de l’époque, ou un niveau permettant de monter sur le podium masculin de pas mal de courses nationales dans les années 2000.
Il n’existe aucune trace de ces chronos et ceux-ci paraissent sujet à caution quand on les croise avec d’autres éléments de sa biographie : il a lui-même témoigné d'avoir eu une très mauvaise hygiène de vie à l'époque.
Contacté par « L'Equipe », ce dernier maintient avoir couru sous les 1 h 15 : « C'est un bon niveau pour des coureurs qui s'entraînent très sérieusement, ce qui était mon cas », précise-t-il dans un mail dont une copie a été adressée à son avocat, le très critiqué Fabrice Di Vizio.
De même, Casasnovas se défend face aux mises en cause dont il fait l'objet et conteste tout agissement sectaire : « La notion de secte répond à des critères précis qu'ils (la Miviludes) décrivent eux mêmes fort bien sur leur site internet et aucun de ces critères ne s'applique à mon activité. »
Mettre en avant ces chronos lui a en tout cas permis d’approcher certains hauts responsables du sport français. En 2015, par exemple, un responsable du Pôle France de Jiu-Jitsu brésilien l'invitait à présenter un long exposé sur « les paramètres physiologiques de la performance » à de jeunes athlètes présents pour un stage de sélection.
L’un des professeur de Jiu-Jitsu présents, après avoir justement rapporté à la presse locale le fameux chrono de 1 h 09 de Thierry Casasnovas sur semi-marathon, présentait ce dernier comme « spécialiste de la nutrition » et commentait :
« S'il y a bien une conférence qu'il ne vous faut pas manquer dans un lieu convivial, c'est celle-là... »
Ce discours rejoint celui de Casasnovas qui, dans une vidéo intitulée « Le meilleur régime pour courir, du jogging à l'ultra marathon », prétendait par exemple pouvoir « booster par deux » les performances en mangeant essentiellement des fruits et légumes crus sous forme de jus.
Sa légitimité est remise en question : en effet, s'il est naturopathe, il n’a de diplôme reconnu ni en nutrition, ni en médecine du sport.
S’il a pu œuvrer au plus près des athlètes, c’est surtout en ligne que ce prédicateur passionné de nourriture crue et de jeûne a eu le plus d’impact sur la vie de ses suiveurs.
Tombé sous l'influence de Thierry Casasnovas en 2015, le marathonien amateur Maxime Lopes dit avoir repris aujourd'hui une alimention équilibrée. Devenu docteur en psychologie du sport et entraîneur de course à pied, il témoigne volontiers de cette époque révolue.
Maxime Lopes pendant son entraînement au Kénya.
En 2023, il a atteint un niveau exceptionnel pour un marathonien amateur, proche de certains professionnels (2 h 17 en avril à Rotterdam). Quelques jours après notre entretien, Maxime Lopes s’envolait pour le Kenya pour deux semaines d'entraînement. Son partenaire lors de nombreuses séances : Mathieu Blanchard, 2e de l’UTMB 2022 et alors en pleine préparation pour le marathon de Paris qu’il bouclera en 2 h 22.
Les résultats de Maxime Lopes sont d’autant plus exceptionnels qu’il a démarré la course tardivement. C’était en 2014, alors qu’il était étudiant au Québec. Cette année-là, à peine quelques mois d'entraînement lui suffisent pour prendre conscience de ses capacités.
Il se passionne pour ce sport, progresse rapidement et se convainc très vite d’une chose : il doit changer son alimentation pour perdre du poids et exploiter tout son potentiel. Il va plutôt mettre en grand danger sa santé mentale et physique.
Début 2015, le coureur découvre sur Youtube des méthodes d’alimentation dites alternatives comme le crudivorisme et le jeûne. Et adhère principalement selon lui aux idées du naturopathe Thierry Casasnovas : « Je me pesais plusieurs fois par jour. Je cherchais l’alimentation parfaite et je réalise aujourd’hui que j’étais prêt à croire beaucoup de choses. Je me suis fait avoir par Thierry Casasnovas, qui est un très bon orateur. J’ai passé des heures devant ses vidéos. »
Le récit de Maxime Lopes permet de comprendre comment certaines croyances peuvent se graver dans notre esprit. Il décrit par exemple :
« Ces vidéos ont créé chez moi des schémas, une idéologie de la pureté, J’ai intégré des concepts comme “c’est mal de manger tel ou tel produit” ou même “manger, ça fait de toi une mauvaise personne”. Ça crée une culpabilité dont il est très difficile de se débarrasseR »
Pour les adeptes et anciens adeptes, témoigner est difficile. « C’est très ''émotionnel'' pour moi, reconnaît Maxime Lopes. Je suis très irrité, ça me rappelle trop de choses. C’est allé loin, j’ai même convaincu mes parents d’acheter une machine, un extracteur de jus, pour boire les jus comme Thierry Casasnovas. »
Quand on l'interroge sur l'influence qu'il a pu avoir sur les personnes qui regardaient ses vidéos et ont eu des comportements à risque, le naturopathe rétorque : « N'avez-vous aucun esprit critique ou faites-vous semblant d'être bête pour faire des associations faciles et médiocres dans l'objectif de m'accuser ? À moins que vous puissiez me dire que je l'ai personnellement coaché (ce qui m'étonnerait fort), ou au minimum me dire quels conseils il a suivis ? Puis d'enquêter en tant qu'expert journaliste s'il a bien compris mon message, ou encore s'il les a réellement appliqués (ce qui est impossible à vérifier), ou s'il n'a pas des troubles du comportement alimentaire ? »
Le youtubeur invite par ailleurs à s'intéresser aux coureurs qui « suivent son travail », citant entre autres le controversé Florian Gomet.
Maxime Lopes sur sa chaîne Youtube.
Maxime Lopes, lui, est aujourd’hui auteur d’une chaîne Youtube - appelée Runwise - de référence sur la course à pied, où il indique ne transmettre que des informations basées sur la science. Une démarche de vérité qu’il considère comme une thérapie. Et qu’il poursuit en expliquant dans le détail les répercussions qu’ont eues ces croyances sur sa vie.
Retour en 2015. Au bout de quelques semaines de jeûnes répétés, le marathonien raconte qu'il dort très mal et souffre de maux de têtes réguliers. De graves symptômes de dénutrition, même s'il refuse d'abord d’admettre ce qui lui apparaît aujourd'hui comme une évidence :
« J’étais totalement dans le déni jusqu’à ce que ma mère vienne pour un séjour au Canada. Dès qu’elle m’a vu, elle m’a trouvé très, très amaigri »
« On est parti explorer le Québec et dès le premier déjeuner avec elle, j’ai craqué : je me suis rué sur la nourriture. Et j’ai réalisé à quel point j’étais en sous-nutrition depuis des mois. »
Malgré cet épisode, l'athlète dit avoir mis du temps à retrouver une alimentation plus saine : « Fin 2015, parce que mes performances sportives étaient mauvaises, explique-t-il. Avec le recul, je me dis que c’est le meilleur truc qui me soit arrivé. Ça a été long d’en sortir, j’ai eu des hauts et des bas jusqu’en 2019. Mais j’ai de la chance : je connais des gens qui ont d’abord surperformé un bon moment en entrant là-dedans et qui ont beaucoup de mal à s’en détacher. »
Ce genre de dérives potentielles dépassent le seul cas de Thierry Casasnovas. Plusieurs personnalités du monde sportif nous ont dit avoir constaté la place grandissante de croyances toxiques en lien avec l’alimentation. Nicolas Sajus, docteur en psychologie qui a accompagné de nombreux sportifs et clubs, en particulier en Ligue 2, détaille par exemple :
« J’ai vu des coachs donner des impératifs alimentaires très stricts avec une dimension presque spirituelle, j’ai trouvé plusieurs jeunes sportifs en danger parce qu’ils renoncent à beaucoup trop d’aliments »
Willy Mangin, qui est président de la Société française de nutrition du sport mais aussi ceinture noire et enseignant en arts martiaux chinois, confirme et appelle à la modestie les professionnels du sport non formés à la nutrition, à commencer par les entraîneurs :
« Une étude scientifique australienne a été menée sur des coaches sportifs assermentés qui ont l’habitude de conseiller leurs athlètes en termes d’alimentation. Elle a montré qu’ils avaient plutôt une grande confiance dans leur niveau de connaissance alors qu'en moyenne, celui-ci est assez faible. »
Ancienne présidente de l’association « Ethique et sport », la médecin du sport et nutritionniste Véronique Lebar raconte avoir reçu en consultation de nombreux athlètes ayant adopté des comportements extrêmes.
Et selon elle, la plupart des influenceurs, coaches et naturopathes ayant conduit ses patients à une nutrition dysfonctionnelle ont une vision manichéenne des aliments. Ils laissent entendre que certains aliments sont toujours mauvais pour tout le monde et rendraient même mauvais les personnes qui les consomment. Avec deux marottes : le lait et le gluten.
02 Djokovic, le gourou et le gluten
L’échange de regard est intense, la complicité évidente. A gauche de la photo prise début janvier 2022, celui qui est en train de se bâtir le plus beau palmarès de l'histoire du tennis : Novak Djokovic. A droite, un ancien tennisman professionnel surnommé Pepe Imaz et dont l’habituel vêtement blanc est recouvert d’une doudoune.
Imaz joue le rôle d'« accompagnant spirituel » pour plusieurs personnalités espagnoles et joueurs de tennis, et dirige une école de tennis destinée aux enfants appelée Amor & Paz et installée à Marbella, au sein de l'Hôtel Puente Romano.
Novak Djokovic et Pepe Imaz en janvier 2022.
C’est là, sur le court numéro 5, que Djokovic et Pepe Imaz ont été photographiés. A elle-seule, l'image incarne les turpitudes du Serbe. Elle fut d’abord l’un des éléments à charge contre le joueur de 36 ans dans le conflit qui l’a opposé, début 2022, aux autorités australiennes et a mené jusqu’à son arrestation, sa détention et enfin son départ du pays.
Elle prouve en effet que le champion a bien séjourné en Espagne avant de se rendre à Melbourne, contrairement à ce qu’affirmait son questionnaire d'entrée sur le territoire australien. On peut y voir un symbole : Pepe Imaz, présenté encore aujourd'hui comme le conseiller mental du joueur, est au centre de ce cliché polémique comme il est indissociable des choix les plus controversés de Djokovic depuis qu’il a adopté des croyances très personnelles en matière de santé et d’alimentation.
Dans son livre sorti en 2014 « Service gagnant - Une alimentation sans gluten pour une parfaite forme physique et mentale », Novak Djokovic donne une date qui constitue un tournant dans sa perception de son propre corps et de la santé humaine en générale : le 27 janvier 2010, douze ans avant la photo avec Imaz donc.
Ce jour-là, il affronte Jo-Wilfried Tsonga en quart de finale de l’Open d’Australie. Il tient longtemps tête au Français, mais se met à souffrir de difficultés respiratoires. Il s’effondre physiquement et perd le match. Quelque chose dans son propre corps semble l’avoir trahi.
Peu après cette défaite, explique-t-il, il est contacté par un nutritionniste serbe appelé Igor Cetojevic et qui lui assure avoir vu par hasard la rencontre à la télé et identifié son problème. L’homme se dit en mesure de faire un diagnostic à distance :
« Il a deviné que la réponse résidait dans mon alimentation. Il a supposé plus précisément que mes problèmes respiratoires étaient la conséquence d’un déséquilibre de mon système digestif qui provoquait une accumulation de toxines dans mes intestins »
Celui qui est alors n°3 mondial décide de rencontrer Igor Cetojevic au mois de juillet suivant. Ce dernier lui propose de tester l’impact que peut avoir une tranche de pain sur son organisme. Pas besoin de machine pour ce faire : le nutritionniste se contente d’appuyer avec la main sur le bras du tennisman pendant que ce dernier contracte le biceps.
Le test est réalisé avec et sans tranche de pain, et démontre aux yeux du praticien alternatif que le bras du champion est plus puissant dans le second cas. Ce qui, selon lui, serait la preuve que son corps « rejette le blé du pain ». Le test est assez connu dans le milieu des thérapies dites alternatives et appartient à un courant de pensée appelé kinésiologie.
Igor Cetojevic et Novak Djokovic.
En France, il est particulièrement suivi par les autorités depuis 2005. A l’époque, à Quimper, des parents avaient adopté au nom de la kinésiologie des pratiques alimentaires extrêmes pour leur nourrisson jusqu’à ce que ce dernier décède de malnutrition.
La Miviludes a, depuis, alerté à plusieurs reprises sur la kinésiologie, qui repose sur des intuitions à l’utilité non avérée et peut conduire à des pratiques à risques et des situations d’emprise mentale.
En 2017, l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a évalué la kinésiologie et notamment le fameux test musculaire dont a bénéficié Djokovic. Elle concluait : « Les études réalisées sur la validité et la fiabilité du test musculaire manuel ne sont pas convaincantes et ne permettent pas de conclure à une quelconque validité. »
Mais ce courant séduit particulièrement les sportifs : Lionel Messi consulte régulièrement son kinésiologue favori, tandis qu’une école de kinésiologie du sport ouverte en 2022 revendique de travailler avec de nombreux clubs professionnels français dont l’AS Monaco, l’Olympique Lyonnais ou l’Asvel.
Le docteur Giuliano Poser, kinésiologue de Lionel Messi.
Après ce test kinésiologique, Novak Djokovic va non seulement renoncer au gluten mais aussi au lait et aux excès de sucre. Il se met à boire de l'eau chaude pour, croit-il, « ne pas dévier le sang de (ses) muscles » et prend systématiquement deux cuillères d'un miel bien spécifique au réveil.
Il va également attacher plus d’importance à son sommeil et à la gestion de son stress. Des décisions dont il se félicite : il dit se sentir mieux et estime que cela l’a aidé à remporter des victoires importantes (en 2011, il gagnera en Australie, à Wimbledon et à l'US Open).
Ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui ont voulu s’inspirer de lui : en 2013, Andy Murray disait ainsi au Telegraph : « J'ai essayé pendant deux ans (de me passer du gluten) mais ça n'a pas marché. Je me sentais très mal : j'ai perdu du poids et toute mon énergie. »
Les déconvenues peuvent être bien plus graves. Car aux risques sanitaires s’ajoutent un potentiel déni de réalité et un assujettissement psychologique, selon Véronique Lebar : « Ce matin-même, j’avais un patient dans cette situation dans mon cabinet. Un jeune homme qui avait des analyses de sang parfaites mais voulait aller toujours plus loin, faire d’autres analyses. Il me parlait de théories farfelues sur la nutrition, parce qu’il avait rencontré un naturopathe très dogmatique qui lui dictait sa conduite et lui diagnostiquait des problèmes tout aussi farfelus. Pour moi, il était sous emprise. »
Le problème décrit par Véronique Lebar est très répandu, notamment, sur les réseaux sociaux, où de célèbres coachs sportifs et influenceurs organisent des « transformation challenges », incitant sans aucune prudence leurs clients à changer leur alimentation ou leur mode de vie. Avec des méthodes de vente très convaincantes, qui peuvent faire perdre toute lucidité ou tout libre arbitre.
Véronique Lebar décrit ainsi : « J’ai été frappée par le niveau de croyances d’un de ces athlètes. Son taux de fer était si élevé que son foie aurait pu cesser de fonctionner. C’est potentiellement létal. Mais j’étais face à un mur. J’ai tenté de lui montrer ses analyses et des articles scientifiques, il ne m’écoutait pas. Le seul avis qui comptait pour lui, c’était celui de la personne qui lui avait recommandé les compléments alimentaires. » Qui ne sont pourtant pas à prendre à la légère.
Ancienne joueuse de tennis de haut niveau devenue diététicienne du sport et chercheuse en nutrition, Alice Bellicha alerte également sur les conseils dits alternatifs en matière de nutrition : « Les compléments alimentaires ne sont utiles que si l’on n'a pas accès à une alimentation variée ou qu'elle ne couvre pas nos besoins. Il y a une responsabilité très grande de la part des gens qui conseillent ces compléments sans aucune prudence. »
Les précautions à prendre sont d'autant plus essentielles qu'il n'est pas rare de trouver des compléments alimentaires contaminés involontairement dans leur production par des substances nocives et/ou classées comme dopantes. Le cas de Paul Pogba, dont le contrôle positif à la testostérone pourrait être dû à l'absorption d'un complément alimentaire contenant cette hormone, l'a rappelé très récemment.
Selon toutes les personnes que nous avons interrogées, la crise sanitaire a encouragé de plus en plus d’encadrants du monde sportif à empiéter sur les choix de vie des athlètes. De façon parfois totalement inappropriée.
Enseignant en art martiaux, Willy Mangin explique par exemple avoir vu certains coachs et athlètes de son milieu attribuer des vertus sanitaires non avérées à leurs pratiques sportives : « Croyant sûrement bien faire, des professeurs ont essayé de développer des Chi-gong anti-Covid au début de la pandémie. Ils ont laissé entendre que l’on pouvait booster notre système immunitaire et donc se préserver du virus en respectant les bons enchaînements de mouvements. Déjà, ce n’est pas du tout avéré, et en plus ça a pu contribuer à la défiance globale contre des mesures de protection dont l’utilité est prouvée. »
Là encore, la trajectoire de Novak Djokovic est éclairante. Car ses changements alimentaires ont coïncidé avec l’adoption des croyances spirituelles propagées par Imaz. Dans ses livres et conférences, Pepe Imaz en exprime certaines qui semblent totalement déconnectées de la réalité. Il dit ainsi avoir rencontré une divinité libanaise qui lui aurait délivré pendant 23 jours consécutifs de nombreux messages.
De cette révélation, il tire des théories ésotériques, des propos complotistes (les traînées des avions intoxiqueraient les populations, le monde serait dirigé par treize familles néfastes appelées Illuminatis) ou des reproches virulents à la médecine conventionnelle, et notamment contre la vaccination. Djokovic va adopter une bonne partie de ces points de vue, en particulier le dernier.
Selon la Miviludes, « le risque de dérive sectaire est à craindre » et l'organisme alerte sur les textes d'Imaz :
« Il y a un risque non négligeable de rupture avec la société et d’enfermement dans ses convictions qui peut amener l’individu à participer à des groupes toujours plus extrêmes dans leurs convictions »
Grande connaisseuse des spiritualités contemporaines et de ses dangers, Elisabeth Feytit confirme retrouver dans les mots et croyances d’Imaz bon nombre de références New-Age.
Autrice du podcast de référence sur ces sujets, Méta de Choc, elle liste trois critères qui permettent d’identifier une situation d'emprise mentale : « L’exigence d’une alimentation draconienne, ce qui est à relativiser ici puisque les sportifs professionnels sont forcément soumis à des régimes stricts ; un vocabulaire propre et difficile à comprendre de l’extérieur ; le fait de désigner l’extérieur comme le mal. »
Pour l’Espagnol Luis Santamaría del Río, spécialiste des sectes et co-fondateur d'un Réseau ibéro-américain pour l'étude des sectes (RIES), Pepe Imaz est bien un « gourou New-Age ».
Novak Djokovic et Boris Becker, son entraîneur de 2013 à 2016.
Novak Djokovic a collaboré activement avec Pepe Imaz entre 2016 et 2018, au point que ce dernier affiche de façon répétée son adhésion au mantra « Amor y Paz ». Au point, aussi, que la présence d’Imaz devienne un problème aux yeux de son entourage professionnel.
Dès novembre 2016, les observateurs s’interrogent : pourquoi est-ce Imaz qui accompagne le Serbe lors du Masters 1000 de Bercy, et non pas ses coaches Marian Vajda et Boris Becker ?
Ces deux derniers semblent avoir désapprouvé la proximité de « Djoko » avec son guide spirituel : c’est l’une des raisons qui expliquerait la démission de Becker en décembre 2016, tandis que Marian Vajda (photo) a publiquement exigé qu’Imaz s’éloigne du joueur (en 2018, à un quotidien slovaque). Ce qui fut fait, même si les deux hommes ont continué à se fréquenter et à s'apporter un soutien public. Jusqu’à la crise sanitaire, au cours de laquelle sa proximité spirituelle et géographique avec Pepe Imaz a donc eu des conséquences extrêmes.
Certains voient dans l’attitude de Djokovic une fidélité remarquable en ses convictions, qui explique peut-être en partie sa carrière exceptionnelle. D’autres y voient un jusqu'au boutisme regrettable, n’oubliant pas que Djokovic a participé sans masque à plusieurs événements en public après avoir été testé positif au Covid-19, et craignant que le champion inspire à une partie de ses fans une crainte illégitime de la vaccination et de la médecine.
Certains estiment par ailleurs que les croyances du joueur l’ont rendu crédule et à la merci d’extorsions et manipulations. En juillet 2022, Novak Djokovic a inauguré des terrains de tennis au pied de collines présentées par un entrepreneur local controversé comme des pyramides construites jadis par une société oubliée, et qui auraient des effets bénéfiques pour la santé des visiteurs.
Lors du dernier Roland-Garros, il arborait sur le torse un patch présenté comme une technologie révolutionnaire lui permettant de performer. Un patch vendu plusieurs centaines d’euros et dont, selon ses concepteurs, la renommée a explosé grâce au Serbe. Mais tous les spécialistes considèrent qu’il s’agit d’une arnaque et d’un gadget inopérant, même si Djokovic a ajouté à Paris puis New York deux nouveaux tournois du Grand Chelem à son palmarès.
03 Le magnétiseur du foot professionnel
Dans le milieu du foot professionnel français, l’influence importante sur certains joueurs d’un thérapeute alternatif peu connu du grand public pose de nombreuses questions. Son nom rappelera peut-être quelque chose aux supporters de Bastia et de Rennes dans les années 1990 : Pierre Maroselli.
Après son honorable carrière pro, celui-ci s’est reconverti dans la magnothérapie, l'une des nombreuses disciplines alternatives non reconnues par la médecine et à l’efficacité non démontrée mais qui ambitionne de soigner grâce aux champs magnétiques.
Plusieurs de ses anciens clients le disent très sympathique et certains estiment que son magnétisme peut être utile à ceux qui y croient. Une personne extérieure au monde du sport et souffrant d’anorexie assure que Pierre Maroselli a eu, pendant un temps, un impact positif sur elle lors de nombreux échanges téléphoniques.
En 2016, une enquête de « L'Équipe » interrogeait l’influence voire l’emprise du magnétiseur sur ses clients. Notamment le plus fidèle d’entre eux, le footballeur français Hatem Ben Arfa, qui aurait même envisagé de refuser de participer à l'Euro 2016 si Didier Deschamps n'acceptait pas la présence de Maroselli à ses côtés pendant la compétition.
Contacté à ce sujet, Hatem Ben Arfa ne nous a pas répondu. Pierre Maroselli, lui, a accepté de nous parler pendant plus de deux heures au téléphone, à condition que nous ne citions pas ses propos et afin de « sentir » s’il devait ou non nous donner une interview en bonne et due forme. Après plusieurs semaines de suspense, il a finalement renoncé.
Lors de notre entretien, il a certifié travailler, encore aujourd’hui, avec plusieurs joueurs évoluant en Ligue 1 et prendre parfois l’avion pour effectuer avec eux des séances de thérapie. Il a aussi assuré être en mesure d’effectuer des diagnostics et des soins à distance.
Citant Kylian Mbappé ou Neymar, il a précisé pouvoir ressentir l’état de santé actuel de joueurs sans même les avoir vus.
Il s’est également livré spontanément à un diagnostic à distance sur l’auteur de ses lignes : à plusieurs reprises pendant l’entretien et malgré notre gêne perceptible et nos contestations, il a tenu à diagnostiquer une « rupture affective avec la mère » mais aussi des soucis au niveau du pancréas.
Cette initiative était probablement bienveillante et a été suivie d’une proposition de traitement par ses soins. Selon lui, beaucoup de sportifs auraient aussi intérêt à le suivre, puisqu’il peut les aider à performer.
Il semble difficile de ne pas voir de potentiels dangers dans ces affirmations. Elles nous rappellent de très près les alertes que nous avait données Elisabeth Feytit, ancienne championne de France scolaire de judo et pratiquante de roller acrobatique à haut niveau. Elle qui connaît très bien les dérives psychologiques constatées dans le milieu du coaching expliquait :
« Dans le coaching sportif comme dans le coaching en général, le risque vient des personnes qui vous disent : “je sais mieux que vous ce dont vous avez besoin” »
Largement inspiré du développement personnel et du coaching, c’est toute la philosophie de Pierre Maroselli qui peut s’avérer alarmante.
Lors de notre entretien, ce dernier a revendiqué baser ses soins sur une théorie dite de la « loi de l’attraction ». Celle-ci consiste à dire que nos pensées ont le pouvoir d’influencer le réel. Pour réussir sa vie, il faut d’abord la penser de façon positive.
Dans un certain contexte, elle peut imprégner certains athlètes d'une culture de la gagne. Mais elle est souvent dangereuse puisqu’elle laisse entendre que les personnes en souffrance sont responsables de leurs malheurs… faute d’avoir suffisamment pensé positivement.
Il est parfois difficile de faire la part des choses entre de simples choix à contre-courant, tout à fait légitimes, et des conseils néfastes pouvant mener à des dérives. La frontière n’est pas si simple à identifier, d’autant plus que les croyances et thérapies alternatives ne se cantonnent pas aux réseaux sociaux et à l’entourage éloignés des sportifs mais peuvent être diffusées au cœur même des clubs et instances sportives françaises.
Martine Gardénal.
La très controversée docteur Martine Gardénal, par exemple, a exercé dans les années 1980 au sein des équipes de France de tir et d'équitation mais aussi pendant plusieurs années et jusqu’en 2012 au sein du pôle médical de l’Insep.
Elle s’est spécialisée dans des pratiques à l’utilité non démontrée, dont l’homéopathie, a été suspendue par l’Ordre des médecins mais aussi condamnée pour « charlatanisme » à la suite de poursuites engagées par la Sécurité sociale en 2007. Contacté à son sujet, l’Insep indique simplement que l’homéopathie n’est « pas ou très peu utilisée aujourd’hui » en son sein.
Depuis son départ de l’INSEP, Martine Gardénal a publié plusieurs ouvrages, notamment sur l’homéopathie dans le sport, diffusé des affirmations fausses sur la crise sanitaire ou invité les sportifs à renoncer à la vaccination. Ses anciennes fonctions au sein de l’élite du sport français sont encore systématiquement citées comme des attestations de sa crédibilité.
Il n'est pas question ici de tracer la limite de la superstition et de la pensée magique dans le sport. Les exemples sont légion et en font souvent la beauté, des neufs tics systématiques de Nadal avant chacun de ses services aux discours performatifs prononcés par des coachs enflammés, en passant par ces joueurs de Montpellier qui, comme on agiterait un gri-gri, se rendaient en 2020 et 2021 au stade de la Mosson dans un vieux Scenic dont le pot d’échappement touchait terre mais qui, à leurs yeux, avait la capacité de les faire gagner.
Richard Monvoisin est enseignant à l'Université Grenoble-Alpes et spécialiste de l'analyse des théories controversées. Il a aussi pratiqué la course à pied à haut niveau puis participé à pas mal de courses en montagne. Il confirme que les rituels et la pensée magique font partie intégrante de l’histoire du sport et cite deux exemples tirés du livre du médecin du sport Jean-Pierre de Mondénard (Dopage aux Jeux olympiques, la triche récompensée).
Spyrídon Loúis premier champion olympique du marathon lors des JO de 1896 et Joseph Guillemot champion olympique du 5000 mètres en 1920 à Anvers.
Spyrídon Loúis, le vainqueur du premier marathon des JO modernes à Athènes en 1896, priait pendant deux nuits puis jeûnait un jour entier avant chaque épreuve. L’athlète Joseph Guillemot a, lui, performé aux JO d’Anvers en 1920 après avoir bu ce qu’un proche lui avait présenté comme une boisson magique. Ce n’était que de l’eau sucrée…
Selon ce défenseur de la pensée critique, ces rituels peuvent tout à fait avoir leur utilité dans le sport en tant que « gain de confiance » :
« En se raccrochant à quelque chose, que ce soit le magnétisme, les graines de chia ou l’arrêt du gluten, l’athlète a une illusion de contrôle. C’est très rassurant alors que le sport est tout de même un domaine où on manque cruellement de contrôle »
Alors comment définir et détecter ce qui peut relever de l'emprise ? Willy Mangin appelle les personnes qui entourent les sportifs à se former à l’éthique et à la déontologie, pour questionner les limites et les devoirs liés à leurs fonctions. Richard Monvoisin propose, lui, une solution qui a fait ses preuves dans la recherche médicale : le placebo ouvert.
Car le fait de savoir que l’on a recours un placebo ne supprimerait pas son effet positif. Libre à chaque sportif d’adhérer de façon « ouverte », et donc consciente, à ses propres recettes secrètes voire magiques, sans dérive possible. Et sans gluten, si ça leur chante.
Le sport et les sectes, une longue histoire
C’est par des tueries de masse que les mouvements sectaires ont commencé à attirer l’attention dans les années 1980 et 1990. En 1978, plus de 900 personnes se suicident au Guyana, au sein d’une secte dirigée par le gourou américain Jim Jones. Plusieurs dizaines d’adeptes de l’Ordre du Temple solaire vont ensuite mourir au milieu des années 1990 à la suite d’assassinats et/ou suicides collectifs.
Le 23 décembre 1995, la police française retrouve les corps immolés et disposés en étoile de seize personnes dans la clairière du Puits-de-l’Enfer, dans le Vercors. Parmi elles, trois jeunes enfants mais aussi la double championne de France de ski de descente Edith Vuarnet et son fils, membres de la secte.
Ce dernier drame a secoué l’opinion et conduit les autorités françaises à recenser les mouvements inquiétants et à lutter contre les dérives sectaires en créant une mission dédiée (la Miviludes, Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).
On découvre à l’époque qu’un mouvement comme la Scientologie, considérée comme une secte en France, revendique plusieurs dizaines de milliers de membres dans notre pays. Dont certains sportifs renommés comme le pilote français Philippe de Henning, directement sponsorisé par le mouvement, mais aussi la championne de 100 m haies Anne Piquereau - qui connut de nombreux déboires à la suite d’accusations de prosélytisme - ou encore l’ancien vainqueur de la Coupe Davis Arnaud Boetsch.
« C'était une époque où je voulais être mieux dans mon tennis et dans ma vie. Qui ne souhaite pas s'améliorer ? Le tennis est un sport stressant, je cherchais des solutions comme d'autres vont chez le psy ou font du yoga »
Ces grands mouvements conservent aujourd’hui leur poids et certains liens avec le monde du sport.
L'Église de scientologie, condamnée en 2013 pour escroquerie en bande organisée, œuvre ainsi à la construction d’un immense centre de formation juste en face du Stade de France, dont l’ouverture est prévue avant le début des Jeux Olympiques 2024.
Mais les dérives et l’emprise sectaire se sont beaucoup diversifiées. Son impact sur nos sociétés et sur le monde sportif également. Longuement décrié dans le dernier rapport de la Miviludes, le mouvement ésotérique de l’anthroposophie a par exemple provoqué la controverse dans le monde du handball en 2021 quand l’entreprise pharmaceutique Weleda, liée à plus égards à ce mouvement, est devenue partenaire et « fournisseur officiel » de la FFH.
Ce qui, aux yeux de plusieurs structures luttant contre les dérives sectaires, notamment la Ligue des droits de l’homme, donnent une vitrine regrettable à ce mouvement.
De même questions se posent sur une autre société, Herbalife, qui a noué des liens avec de très nombreuses personnalités et clubs sportifs, de Cristiano Ronaldo à la Fédération française de volley-ball en passant par l’Ajax Amsterdam.
Problème : Herbalife, régulièrement accusée d’escroquerie, a été condamnée aux Etats-Unis pour vente pyramidale.
Ses produits ont été mis en cause dans de nombreux cas de problèmes hépatiques. Contactée, la Miviludes explique avoir reçu plus de 20 saisines au sujet d’Herbalife à la fois en 2022 et en 2023, notamment de personnes s’inquiétant pour leurs proches ayant rejoint cette structure.
Super! Merci beaucoup! Je vais lire ça demain matin!
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